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Glossaire: Aperçu de I’abondance lexicale

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SYMPOSIUM CULTURE@KULTUR
Vom Umgang mit Krankheit im öffentlichen Raum. Ein internationaler Blick. De la gestion de la maladie dans l’espace public.Un regard international

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La crise de la récente pandémie de Covid a suscité – à l’instar de graves crises similaires dans les siècles passés, telles que les pestes, les famines, la grippe dite espagnole – un déferlement de termes spécifiques dans tous les pays. La Bibliothèque Nationale de France commença dès le prin-temps 2020 à archiver les « mots de la Covid » : « Alors que l’épidémie s’étend et que le vocabulaire se diversifie, dès le printemps, les spécialistes de la langue française étudient ces nouveautés pour préciser l’usage des mots, leur définition et ajouter de nouvelles entrées dans les dictionnaires existants » (https://www.bnf.fr/sites/default/files/2021-03/epidemie_Covid19_parcours.pdf). Les lexiques spécialisés firent partout florès pour définir les notions médicales et faciliter la compréhension d’un vocabulaire technique. Face à cette avalanche de mots et de définitions qui n’étaient familiers qu’aux experts, les sociétés ont été alors brutalement amenées à s’aventurer dans le territoire des scientifiques et cela provoqua de nouvelles inflexions dans la rhétorique politique, publicitaire, ce que les linguistes romanistes et germanistes ne manquèrent pas de très vite commenter (cf. Zibaldone 71, 2021, « Corona und andere Epidemien »).

Pour amorcer dans le cadre de notre revue quelques réflexions sur cette abondance lexicale, une question peut se poser : la pandémie étant un phénomène universel, les termes qui lui étaient liés se recoupent-ils ou bien est-ce que de subtiles différences culturelles se sont manifestées à cette occasion ?

Vulgariser La Science

L’essentiel de cette terminologie médicale est international. Mais quelques usages nationaux ont perduré. A commencer par la manière de dénommer couramment la pandémie puisque cette dénomination a été différente selon le pays. La France a mis l’accent sur le résultat, utilisé le nom de la maladie et féminisé « la Covid » conformément à l’avis de l’Académie française ; et en revanche l’Allemagne a choisi de désigner la cause et privilégié le nom du virus « Corona », faisant au demeurant découvrir que l’usage de masculiniser les mots en -us ne s’appliquait pas forcément au style médical, lequel a conservé le genre neutre du latin virus. Le Duden recommande donc « das Coronavirus » mais considère licite d’utiliser indifféremment neutre ou masculin à l’instar du caractère multiforme dudit virus : « Ein Virus ist nicht nur in medizinischer, sondern auch in sprachlicher Hinsicht ein Verwandlungskünstler » (https://www.duden.de/sprachwissen/sprachratgeber/der-oder-das-Virus).

En outre, les mêmes acronymes dérivés de l’anglais ont gagné du terrain de part et d’autre du Rhin où chacun entendait parler de SARS-COV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2), de ModeRNA ou de FFP2. Le français a cependant conservé parfois ses propres sigles. Si bien qu’il faut un peu tâtonner pour trouver les lettres correspondant aux informations sur le vaccin dans l’autre langue : le grand public germanophone a pu se renseigner sur le vaccin « messenger-RNA (mRNA) » et sur les polémiques autour de l’attribution de son invention à tel ou tel chercheur, alors que le français a découvert cet « ARN messager » dont par exemple l’Institut Pasteur avait signalé l’émergence dans les années 1960. Alors RNA vs ARN ? Il reviendra à chacun de simplement comprendre que l’ordre de ces lettres était dérivé de DNA et ADN dont les deux différents acronymes étaient d’ores et déjà localement bien connus en France vs en Allemagne.

Entre Solidarités Et Divergences Lexicales

Globalement, cette pandémie a facilité les porosités et enclenché une forme de solidarité linguistique. Cela constitue un deuxième cas de figure. Cette solidarité peut se manifester par le biais de gallicismes faciles à decoder, comme « Präsenzveranstaltung » qui correspond à une reunion « en présentiel ». Solidarité aussi par le biais d’anglicismes communs, qui sont alors largement entrés dans le langage courant en France, où cela se produisait d’habitude moins fréquemment qu’en Allemagne. Le « click and collect », déjà parfois employé dans la publicité pour les achats en ligne, s’est par exemple propagé avec la Covid tel un nouveau slogan salvateur.

Le fait d’emprunter un mot à une langue étrangère a aussi permis d’en clarifier le sens. En France, le Ministère de la Culture a entrepris de rectifier certains malentendus, mais sans pour autant parvenir à supprimer le succès du mot étranger concerné. Ainsi « cluster » s’est-il imposé en dépit d’une invitation de ce Ministère à ne pas le confondre avec « cloître » et à préférer le mot « foyer (épidémique)» (https://www.culture.gouv.fr/Actualites/Coronavirus-les-mots-pour-le-dire). Le même Ministère attire l’attention sur la nécessité de traduire « tracking » par « traçage » afin d’éviter le mot « traçabilité » qui doit rester réservé au « parcours des objets et des marchandises du producteur au consommateur ». Ou encore il définit « comorbidité », cette fois un terme français, parce que, « pour le non-spécialiste du vocabulaire de santé », « morbide » renvoie à « malsain », alors que, médicalement, « comorbidité » désigne « un ensemble de causes qui peuvent produire une maladie ». Au demeurant, l’équivalent allemand est « Begleiterkrankung », terme qui suffit à lever tout malentendu quand il est employé au lieu de « Komorbidität ». La terminologie allemande est souvent plus variée que celle des langues romanes. On en trouve plusieurs preuves en consultant le Covid-19-Terminologie, petit dictionnaire multilingue, allemand, français, italien, romanche, anglais, qui a été publié par la Chancellerie fédérale suisse (https://www.bk.admin.ch›dam›terminologie). Par exemple le mot « Abstandhalten » y compte plusieurs synonymes (« Distanzhalten; räumliche Distanzierung; physische Distanzierung; soziale Distanzierung; Social Distancing »), alors que le français utilise « distanciation sociale ». Or ce sobre oxymore « distanciation sociale » est surprenant, il suscita d’ailleurs la réprobation du lexicographe Alain Rey : « L’expression ne me paraît pas très bien choisie. On crée un espace infranchissable entre l’objet en question et soi, et ça fait partie des éléments qui sont contraires au principe même du contrat social. Distancier, c’est séparer, c’est admettre qu’il y a une autre nature, et qu’il faut écarter ce qui risque d’être dangereux, distancier veut dire séparer. Mise à distance aurait été préférable, pour souligner les effets dans l’espace » (https://www.lepoint.fr/societe/petit-abecedaire-des-mots-qui-nous-assaillent-en-temps-de-pandemie-18-04-2020-2371947_23.php). Avec ses variantes, l’allemand a donc offert la possibilité d’ajouter cette précision spatiale souhaitée par Rey.

Un autre item de ce dictionnaire suisse, « l’écouvillon », apporte un détail qui illustre un de ces décalages révélateurs de différences culturelles. A l’origine, l’écouvillon est un ustensile servant à nettoyer le canon d’une arme ou l’intérieur des bouteilles ; il a aussi un sens médical. L’important est ici qu’il est l’unique dénomination en français pour désigner l’objet destiné à effectuer des prélèvements dans la muqueuse nasale et à dépister le virus. Or ledit dictionnaire propose en face trois équivalents en allemand : « Abstrichtupfer; Abstrichstäbchen; Abstrichträger ». Il en va de même pour l’item unique « couvre-feu » qui a pour équivalents « Ausgangssperre; Ausgehverbot; Ausgangsbeschränkung ». Il en ressort l’impression qu’il y a eu en France une contextualisation métaphorique militaire, une trace du quotidien vécu dans les casernes.

Rire Du Jargon

Une étude des potentialités stylistiques du traitement humoristique de la Covid mériterait d’être approfondie dans le cadre d’un croisement entre les enjeux contre-culturels en France et en Allemagne. Cette contre-culture pourrait s’appliquer aux opposants, aux « antivax », dont la dénomination en français résulte d’un double néologisme : la création d’un nouveau mot composé et l’emprunt à l’anglais « vax » au lieu de *vacc. En Allemagne, la terminologie des opposants impliquerait d’examiner la typologie de l’anticonformisme (« Corona-Leugner, Impfskeptiker, Querdenker, Geschwurbel, Wutbürger »).

Mais l’étude de la créativité lexicale peut surtout s’appliquer au nouveau jargon covidien étant donné ses nombreux néologismes, ses composés et ses dérivés, qui conduisent soit à revisiter le vocabulaire courant, soit à reconstituer l’origine étrangère de tel ou tel terme.

Citons, à titre d’exemple, un article du journaliste Michel Dalloni daté du 10 décembre 2020 et paru dans le Monde, quotidien dont la première vocation n’est tout de même pas de faire rire (https://www.lemonde.fr/m-perso/article/2020/12/10/parlez-vous-le-covid_6062932_4497916.html). Si le titre de cet article semble annoncer une étude linguistique : « Cluster, superspreader, ‘raoultiste’: le Covid-19 a aussi contaminé le langage courant », le sous-titre, quant à lui explicitement sociologique et ironique, repose sur le calembour « covidien » au lieu de « quotidien » : « Un petit guide de conversation covidienne, pour fluidifier les échanges lors du dîner de Noёl ». Les items y sont classés par ordre alphabétique et thématique, comme dans d’autres sérieux lexiques scientifiques, mais le voisinage de termes qui n’ont que peu à voir les uns avec les autres ajoute une dimension carnavalesque à l’engouement du moment pour ce genre de lexiques. Chaque terme est authentique ; il était plus ou moins couramment usité en 2020, et le reste souvent de nos jours, mais l’auteur l’interprète et l’accompagne d’amusantes connotations culturelles incongrues. Par exemple, à propos d’adjectifs français :

Distanciel. Sous des dehors avenants, distanciel ranime le travail à domicile. Cette invention de l’ère pro-to-industrielle est une des moutures les plus perverses de l’exploitation de l’homme par l’homme.

Non-essentiel. Comme dans mort-vivant, c’est la premiere partie de la composition qui I’emporte.

Présentiel. Puissamment coercitif, il semble sorti du terrible 1984 de George Orwell (Secker and Warburg, 1949). Ce n’est pourtant pas un anglicisme. On I’a repéré dans des documents juridiques du royaume de France, période François Ier (1494-1547).

Vacanciel. Ceux qui tenteraient de le faire rimer avec distanciel s’exposent à des châtiments substantiels.

L’auteur cite aussi des mots dérivés de l’anglais à partir de la racine « zoom ». Ce n’est pas lui qui les a inventés mais sa façon de les définir suffit à illustrer la dimension caricaturale du succès fulgurant du virtuel durant la pandémie et de l’emprise qu’il exerce dorénavant :

Zariage. Mariage via Zoom. Aucune légalité.

Zoombombing. Intrusion dans un webinaire dont on a réussi à casser le code d’accès confidentiel. Entre le pied dans la porte et le happening.

Zumping. Rupture amoureuse par visioconférence. La grande classe.

Ces quelques réflexions à propos de la transposition langagière des discours sur et de la maladie et du virus incitent à conclure que, en 2020, la pandémie a marqué un tournant dans les mentalités : il y a eu l’avant et l’après. En termes de langage, elle a certes enrichi les entrées des dictionnaires mais elle ne paraît pas avoir suscité une révolution car elle a surtout accéléré la large diffusion de la terminologie liée à internet et généralisé les procédés de la communication virtuelle.

eISSN:
2545-3858
Languages:
German, English, French