L’essor de la presse ne peut être séparé de l’affirmation concomitante des États-nations, au cœur de la modernité médiatique (Kalifa / Régnier / Thérenty / Vaillant 2011 : 7, 13). Si la deuxième génération de presse illustrée, née au début des années 1840 en Angleterre, s’adressait encore à un lectorat principalement bourgeois, l’actualité illustrée devint accessible à un plus large public avec la troisième génération, dans les années 1860–1870. Au même moment s’y multiplièrent les thèmes guerriers, favorisés par la guerre franco-prussienne de 1870–1871. S’y développèrent dès lors des imaginaires nationaux au détriment d’un référent collectif européen (Bacot 2005 : 131, 139, 150). Cette presse illustrée au lectorat élargi contribua ainsi à la construction des identités nationales (Thiesse 2010 : 135–136).
Fondée en 1891 et parue jusqu’au 29 avril 1945, la On trouvera en bibliographie les ouvrages principaux traitant de la
Dans la
On sait que Weimar fut « un enfant de la Grande Guerre » (Krumeich 2018 : 11), héritière d’une part de la violence politique cumulée de l’expérience de guerre, de la Révolution de novembre et de sa répression, et d’autre part d’un traité de paix honni par tous les acteurs politiques. S’inscrivant tout comme sa concurrente conservatrice
Dans ce contexte, la
Concomitamment à ses conséquences politiques médiatisées, le conflit reste présent, en creux, sous la forme de certains sujets culturels, artistiques et techniques dans la
Au sortir de la guerre la
Jusqu’en 1919, la guerre figure au centre de l’actualité politique et sociale. Du 17 novembre au 29 décembre 1918, pas moins de six Une abordent la démobilisation. L’année suivante, douze Une sont en lien avec la guerre, dont trois sont consacrées aux revendications de la libération des prisonniers et six aux conditions de paix. Après le soulagement suscité par le retour des troupes, malgré la défaite, la
La
Für den Sturmangriff ‚kräftigte‘ er sich mit Marmelade und Hering, um dann in den erstürmten Linien den unvorstellbarsten Reichtum der Verpflegung und Ausrüstung bei seinen Gegnern zu sehen. Niemand half ihm, nicht seine Führer, die gleichermaßen die feindlichen Mittel unterschätzten, wie sie den Grad seiner Unerschöpflichkeit blind und taub überschätzten […]. Und im Rücken hatte er die Heimat seiner Kinder, seiner Frau, deren Hunger ihn niederdrückte
La critique publique des autorités militaires, rendue possible par la levée de la censure et le rétablissement de la liberté de la presse le 12 novembre 1918 (Kübler 2007 : 56), témoigne d’un relâchement et d’une libération de la parole qui auraient été impensables en guerre. Ambivalentes, les souffrances de l’arrière rappellent les accusations colportées par la Légende du coup de poignard dans le dos et visent simultanément à susciter autant l’empathie envers les civils – victimes du blocus – que l’admiration à l’égard des soldats. Après avoir relaté le retrait ordonné des troupes, le reportage photographique se concentre sur le retour à la vie civile : par un processus d’identification, les lecteurs suivent alors un individu ayant quitté l’anonymat de son régiment pour retrouver sa famille ; la photo centrale, dont la forme ovale « en médaillon » revêt un caractère intimiste, le présente en père de famille serrant sa fillette dans les bras
La page du reportage photographique est consultable au lien suivant :
À l’aide d’un imaginaire familier, la Cette Une est consultable au lien suivant :
La même sobriété ressort des reportages dédiés aux préoccupations économiques et sociales des pays voisins. De la mi-décembre 1918 à début mai 1919, la
Après la remise des conditions de paix à la délégation allemande début mai, le ton de la Voir : Consultable au lien suivant :
Ueber den bethlehemitischen Kindermord, der vielleicht hundert Knaben das Leben gekostet hat, haben sich die Menschen zweitausend Jahre entsetzt. Weiß die ganze Welt, dass die Hunger-Blockade in Deutschland tausend und abertausend Kinder dahingerafft hat und noch immer täglich hunderte tötet?
Cette surenchère dans l’horreur s’accompagne de la « pho-to-choc » d’un enfant sous-alimenté au corps décharné. Son regard épuisé dévisage les lecteurs-spectateurs. Le petit corps est maintenu debout par une infirmière dont les traits harassés ne laissent aucun doute sur l’issue fatale de la situation. Ce cliché, au centre du photoreportage, se détache de l’arrière-plan formé par deux photographies d’un marché couvert et d’abattoirs vides – les légendes renforcent leur lecture selon un schéma interprétatif causes-conséquences : « Les conséquences du blocus de la faim en Allemagne : la grande halle d’un marché couvert berlinois aux étals vides », suivie des « Conséquences atroces du blocus : un garçonnet de six ans rendu tuberculeux et impotent par la sous-nutrition » (
Même après la levée du blocus, les figures enfantine et maternelle continuent à incarner le martyr de la population allemande. Dans une double-page consacrée aux difficultés matérielles – hyperinflation, pénurie de vêtements, de char-bon, froid, faim – et à l’inquiétude causée par « les nouvelles quotidiennes alarmantes sur ce que l’Entente trame de nouveau et d’horrible contre l’État vaincu », le portrait d’un jeune garçon aux joues creusées par la faim (« Peuple en détresse : Le visage meurtri par la faim d’un enfant de la métropole aujourd’hui ») et la scène d’enfants attablés dont la mère essaie d’allumer le poêle avec du bois et du papier (« Maman, il fait si froid ! ») érigent l’Allemagne en victime, en proie aux attaques des vainqueurs en train d’« anéantir un peuple qui voulait sincèrement la paix » (
Au sortir de la guerre, c’est donc l’amertume qui prédomine. Peut-on alors supposer que la dureté des conditions de paix a compliqué la démobilisation culturelle à l’œuvre dans la
Avant même que les conditions de paix ne soient rendues publiques, la
La vision doloriste n’est pas le seul procédé à l’œuvre. À l’occasion d’un passage en revue des expositions proposées dans la capitale berlinoise est reproduit un tableau en hommage au « héros de Tannenberg » : Une variation du célèbre tableau d’Arthur Kampf,
Ces reliquats de la culture de guerre ne subsistent toutefois pas longtemps. Parmi les numéros de 1924, 1928 et 1929, un seul article se voit parasité par la langue de bois de 1914–1918. Consacré à l’apport civilisationnel du progrès technique, il répond à une tribune d’Alexandre Moszkowski ; l’auteur de
Die Schuld aber am Weltkriege? Trifft sie nicht vielmehr die Drahtzieher der feindlichen Politik als die ‚Hexendrähte‘ der Telegraphie und Telephonie, die doch nur die Auslösung vermittelt haben einer von lange her aus Machtfragen der Politik und des Geldes erwachsenen Spannung, die in einer von Neid, Missgunst und Hass gegen das emporblühende Deutsche Reich erfüllten, gewitterschwülen Atmosphäre sich gebildet hatte? Und um beim Krieg zu bleiben, war es nicht die Technik, die uns, umringt von Feinden, lange Jahre hindurch den aufgezwungenen Kampf bestehen ließ, draußen mit den besten Angriffs- und Verteidigungswaffen, die die Technik uns bieten konnte, in der Heimat durch die von Naturwissenschaft und Technik dargebotenen Hilfsmittel, ein von der Außenwelt völlig abgeschnittenes Volk zu nähren, zu kleiden und gesund zu erhalten […]!
Les arguments avancés par l’auteur s’inscrivent dans le long débat des causes et de la responsabilité du conflit, et se démarquent par leur virulence. Hormis ces exceptions, les ressentiments disparaissent rapidement de la
Plus que l’animosité caractéristique de l’ancienne culture de guerre, la mémoire du conflit trouve surtout son expression dans l’art et le deuil. Malgré ses élans d’optimisme et ses images de bonheur familial, la
Verdun selbst macht heute nach zwölf Jahren den Eindruck, als wäre es erst vor ein paar Wochen beschossen worden. In der Nähe der Umwandlung überall ausgebrannte und zerschossene Häuser, verrostete Wellblech-Buden, Trümmerhaufen; und unvermittelt zwischen ihnen grelle Neubauten oder Kioske für Ansichtskarten und Andenken
Animé par une méfiance à l’égard d’un possible chauvinisme français, l’auteur poursuit son reportage d’un ton désapprobateur. Il y oppose la respectabilité d’une visite solitaire et silencieuse, rendue nécessaire par le deuil et le besoin de recueillement, à l’indécence désinvolte et « profanatrice » des masses mues par la curiosité et la recherche du sensationnel :
Wie wirkt die Führung durch die Schlachtfelder überhaupt auf einen unvoreingenommenen Besucher? Wirkt sie wie eine große Geste des Kriegs gegen den Krieg? Oder wirkt sie aufreizend und chauvinistisch? – Ich habe all diese Stätten einmal allein an einem regnerischen Vormittag besucht. Eine versöhnliche Ruhe lag über dem zerfurchten Boden. Die Silhouette einer Ruine, eines Baumstumpfes, ein verrosteter Drahtverhau – das alles redete die Sprache des Friedens. Im Trubel des darauffolgenden Sonntags jedoch war der Eindruck völlig entgegengesetzt! Eine ganze Reihe von Faktoren ist daran schuld; am meisten aber sind es die Besucher selbst. […] Es sind die Ausflügler, die um die Mittagszeit wie auf Kommando allenthalben ihr Picknick entfalten oder abkochen. Es sind die Durstigen, die sich an der Trinkstube vor dem Ossuaire um Erfrischungen anstellen; die Sammler, die nach Helmen und Granatsplittern fahnden; die Kinder, die in den Laufgräben und auf den Forts Verstecken spielen – es ist der ganze würdelose Vertrieb, der eine Entweihung des Bodens darstellt, von dem jeder Fußbreit mit Blut getränkt ist.
Es gibt auch andere Besucher. Angehörige verschiedener Nationen, die ihre Reise hierher vielleicht mit finanziellen Opfern erkauft haben und ihren Vätern und Söhnen einen letzten Be-such abstatten wollen. Sie werden es doppelt peinlich empfinden, dass sich vor Verdun allsonntäglich dieser geschmacklose Schaubetrieb abspielt
Au-delà de l’indignation probablement réelle qui trouve ici son expression, ce ton moralisateur tranche avec la conception actuelle des lieux de mémoire du XXe siècle, mais il révèle aussi la vivacité des plaies de la Grande Guerre dans la société de Weimar. Malgré la méfiance qu’il colporte vis-à-vis des Français, cet article appelle aussi une paix durable de ses vœux. Au cours des années 1920, la
Sur fond de mémoire clivée du conflit et de sempiternels débats autour des réparations, la
Dix ans après le début des hostilités et dans un contexte de frictions dues à l’occupation de la Ruhr, la
Die Verwendung von Giftgasen im Weltkriege hat blitzartig die fürchterlichen Waffen erkennen lassen, welche die moderne Technik den Kriegführenden in die Hand geben könnte, und wer die technischen Möglichkeiten etwa auf biologischem Gebiet ermisst, der erkennt, dass die plötzliche Vernichtung von Hunderttausenden, ja Millionen Menschenleben im Bereich des Ausführbaren liegt. So hat im zwanzigsten Jahrhundert der Krieg sich selbst unmöglich gemacht
Parmi les images illustrant cette contribution, un dessin vision naire de Theo Matejko
À la même période, cet illustrateur contribua pourtant de manière virulente à la propagande nationaliste (contre l’occupation de la Ruhr notamment). Il mit par la suite son art au service de la presse nazie.
Nutzlose Bemühungen. Aufmarsch von jungen Mädchen des holländischen Roten Kreuzes, das für die Ausstattung der Bevölkerung mit Gasmasken wirbt. Nach dem Urteil von Sachverständigen bieten schon beim gegenwärtigen Stand der Giftgastechnik weder Gasmasken noch Unterstände sicheren Schutz
Conjuguée à sa « scientificité » affichée, ce reportage ne cesse de recourir à la figure universelle de la femme – jeune – pour dénoncer les horreurs de la guerre. En fin de compte, un glissement s’est effectué des images de la Grande Guerre vers celles d’une guerre imaginée et à venir conforme aux craintes des contemporains.
De surcroît, la faible médiatisation des commémorations du premier conflit mondial confirme le relatif effacement de celui-ci, non sans lien avec sa mémoire clivée. Devant l’échec du gouvernement à rassembler les Allemands autour des morts de 1914–1918 (Weinrich 2017 : 110), la
À la lecture d’un article paru le 11 novembre 1928, intitulé « Dix ans déjà ! Du 9 novembre 1918 au 9 novembre 1928 », on perçoit toutefois la difficulté de cette tâche. Là encore, c’est le renouveau démocratique qui est commémoré, et non l’armistice. Le journaliste fait même montre d’un optimisme certain en affirmant qu’Hindenburg, depuis son élection en 1925, s’est révélé être un « garant loyal de la Constitution ». Malgré tout, les ravages économiques de l’après-guerre restent au premier plan du reportage : trois des cinq photographies rappellent la sous-nutrition des écoliers en 1919 et l’hyperinflation de 1922–1923 (
Pour conclure, il ressort que la première revue illustrée de masse, au sortir de la guerre, a médiatisé les événements traumatiques qui marquent aujourd’hui encore la mémoire allemande de cette époque : l’invasion de la Prusse-Orientale, les souffrances des civils, les désillusions suscitées par le traité de paix, l’hyperinflation – ces plaies qui trouvèrent leur expression dans l’art et dans les figures universelles de la femme et de l’enfant. La Grande Guerre n’y représentait toutefois pas une thématique prépondérante, si bien que l’on peut parler d’une démobilisation culturelle partielle de cette revue illustrée. Malgré ces cicatrices, la
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