Tout au long de la pandémie de Covid-19, les images humoristiques et caricatures, blagues, jeux de mots et photomontages ayant pour thème le vécu en contexte pandémique se sont multipliés, ont été partagés et propagés, qu’il s’agisse de clichés anonymes ou des dessins de caricaturistes. Ces images circulant sur le net trouvent des traductions diverses en fonction du contexte national dans lequel elles sont apparues. L’analyse de ces images fait émerger des questionnements divers, dont celui de l’humour comme stratégie de gestion de l’anxiété générée par un vécu jusqu’alors inconnu. Dans un monde surchargé en images et représentations visuelles, quel rôle ont pu jouer ces caricatures et représentations humoristiques ? Peut-on parler d’une mémoire visuelle communicationnelle et culturelle commune ou ces clichés sont-ils seulement exploitables et interprétables dans une aire culturelle donnée ? Par le biais du détournement et du montage, ces textes et images se réapproprient une culture populaire visuelle qui revisite livres illustrés, bandes dessinées et œuvres picturales classiques tout en se faisant témoins d’une période marquée par les mesures restrictives mises en place par les gouvernements pour gérer la crise sanitaire1.
Dans le contexte d’une pandémie mondiale ayant bouleversé les rapports sociaux et les modes de communication, le sentiment d’appartenance à un collectif par le biais du détournement des images et des références à un patrimoine culturel commun est particulièrement visible dans les images évoquant les livres illustrés pour enfants comme
Dès le printemps 2020 se propagent sur le net des images caricaturales dudit maître d’école Lämpel commentant l’origine de la pandémie. Une caricature s’amuse de la perdurance de la pandémie parce qu’elle se différencierait ainsi des objets manufacturés de médiocre qualité provenant de Chine « Fakt ist : Noch nie hat etwas aus China so lange gehalten und war so teuer »5. Ou encore une image représente le maître d’école Lämpel masqué pour annoncer de quelle manière s’effectuera la rentrée puisque le port du masque était prévu en 2020 dans les écoles allemandes6 :
Les traits représentant Herr Lämpel n’ont pas ou très peu été modifiés et sont immédiatement reconnaissables. Clin d’œil à tous ceux qui ont lu les histoires de Max et Moritz durant l’enfance, la caricature du Lehrer Lämpel fait rire par son attitude piquée et moralisatrice et le décalage qui se produit entre l’image d’origine et son anachronique réutilisation en temps de pandémie où les discours pseudo-scientifiques se multiplient. Le personnage type du maître d’école ridicule imbu de lui-même et de ses connaissances a dans les faits une longue tradition littéraire et picturale en Allemagne qui trouve ici un prolongement possible dans ces images déformées ou faites à partir de montages qui se propagent durant la pandémie. Malgré les nombreuses traductions du livre illustré dans d’autres langues7, ces images sont surtout parlantes pour un public germanophone pour lequel la référence au maître Lämpel est lisible tout comme le réemploi des contes moraux allemands.
Ce sont surtout les histoires et les contes moraux illustrés qui sont réutilisés et déconstruits dans le contexte de la pandémie, comme l’histoire de « Pierre l’Ébouriffé»8,
Der Kaspar, der war kerngesund, Ein dicker Bub und kugelrund, Er hatte Backen rot und frisch; Die Suppe aßer hübsch bei Tisch. Doch einmal fing er an zu schrei’n: „Ich esse keine Suppe! Nein! Ich esse meine Suppe nicht! Nein, meine Suppe ess’ich nicht!” | In der allerersten Welle, schrie der Kasper: Bagatelle, einen Virus krieg ich nicht, nein, einen Virus krieg ich nicht! |
Am nächsten Tag, — ja sieh nur her! Da war er schon viel magerer. Da fing er wieder an zu schrei’n: „Ich esse keine Suppe! Nein! Ich esse meine Suppe nicht! Nein, meine Suppe ess’ ich nicht!” | Zornig in der zweiten Wèlle, stampft der Kaspar auf der Stelle, eine Maske trag ich nicht, nein, eine Maske trag ich nicht! |
Am dritten Tag, o weh und ach! Wie ist der Kaspar dünn und schwach! Doch als die Suppe kam herein, Gleich fing er wieder an zu schrei’n: “Ich esse keine Suppe! Nein! Ich esse meine Suppe nicht! Nein, meine Suppe ess’ ich nicht!” | Rief noch in der dritten Welle Überzeugt von seiner Youtube-Quelle: Eine Impfung brauch ich nicht, nein, eine Impfung brauch ich nicht! |
Am vierten Tage endlich gar Der Kaspar wie ein Fädchen war. Er wog vielleicht ein halbes Lot — Und war am fünften Tage tot. | Schließlich bei der vierten Welle, dringt ein Virus in die Zelle, Kaspar bekam Atemnot Und war am fünften Tage tot. |
Les illustrations originales ont été gardées, ce qui renforce le caractère moralisateur du texte et critique les personnes refusant de croire à la dangerosité du virus dans un contexte de pandémie globale. Par les rimes et les illustrations le texte prend l’aspect d’une comptine pour enfants pour se moquer avec sarcasme des « antivax »10 qui construiraient leurs théories douteuses en visionnant des vidéos sur YouTube. Ici encore, la caricature s’adresse surtout à un public germanophone en connaissance du texte d’origine pour percuter les esprits avec une histoire cruelle.
En France un exemple similaire peut être évoqué ici avec la réappropriation et la réécriture de la fable de Jean de Lafontaine La Cigale s’étant déconfinée tout l’été Se trouva fort dépourvue Quand la 2e vague fut venue. Pas un seul paquet De Pâtes ou de papier cul. Elle alla crier famine Chez la fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelques masques pour se protéger, jusqu’à la fin de ce bordel. Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’août, foi d’animal. Mais la fourmi n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut. Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse.
Nuit et jour àtout venant Je me collais, je sortais et me joignais aux foules. Vous vous colliez, sortiez et vous alliez dans les foules ? J’en suis fort aise. Eh bien, toussez maintenant !
Jean de la Quarantaine.
Dans le cas des textes très connus et propagés au sein d’une communauté de langue et de culture comme c’est le cas pour les contes moraux éducatifs de Max et Moritz et ceux du recueil Der Virus (von Heinz Erhardt sic !): Weil wir doch am Leben kleben,/muss man abends einen heben./So ein Virus ist geschockt,/ wenn man ihn mit Whisky blockt./Auch gegorener Rebensaft/ einen gesunden Körper schafft./ Auch das Bier in großen Mengen/wird den Virus versengen./Wodka, Rum und Aquavit/halten Herz und Lunge fit./Calvados und auch der Grappa/helfen Mutti und dem Papa./Ich will hier nicht für Trunksucht werben,/doch nüchtern will ich auch nicht sterben/bleibt gesund.
Ce poème humoristique recommandant la consommation de boissons alcoolisées pour rester en bonne santé n’est pas de la plume du satiriste Heinz Ehardt, l’éditeur Carlsen Verlag, chez qui sont parus les poèmes d’Erhardt l’a démenti à décalage entre la fable connue de toutes et tous et cette nouvelle version impertinente permettant de faire un petit pied de nez aux classiques appris par cœur à l’école française. L’humour n’empêchant pas de faire passer la morale de l’histoire : mieux vaut la prudence de la fourmi que l’inconscience de la cigale face aux vagues de covid.
plusieurs reprises tout comme l’administrateur de l’héritage du comédien, comme le rappelle l’écrivain Sören Heim dans l’article «Das Social-Media-Gedicht ‘Das Virus’ ist nicht von Heinz Erhardt! Ein Blick auf die stilistischen Mittel »12. L’analyse du texte permet en effet rapidement de constater que le texte ne peut pas être de la plume d’Erhardt, la consultation de la page officielle de l’auteur qui contient la liste de ses poèmes le confirme également13.
Malgré cela « Der Virus » avec la mention « von Heinz Erhardt » continue à se propager sur les réseaux sociaux, notamment parce qu’il thématise la question de l’augmentation de la consommation d’alcool pendant les périodes de confinement et en temps de pandémie pauvre en interactions sociales. Une préoccupation sérieuse pour les autorités de santé publique dès le printemps 202014, mais qui fait l’objetde nombreuses blagues et caricatures dans les réseaux sociaux, bien que les chiffres et études récentes ne confirment pas nécessairement l’hypothèse d’une augmentation de la consommation alcoolisée sur l’ensemble de la population, notamment en raison de la fermeture des bars et des limitations intersociales15. Ce que l’exemple de ce « faux » poème d’Heinz Erhardt révèle avant tout, c’est le besoin collectif de s’inscrire dans un patrimoine littéraire oral et écrit commun dans une période de grand bouleversement collectif et social comme a pu l’être le vécu en pandémie en 2020-2021.
Le texte « Der Virus » aurait pu être propagé sans mentionner le nom Heinz Erhardt mais aurait certainement eu moins d’impact et aurait fait l’objet de moins de partages sur les réseaux sociaux, il se charge ainsi d’une signification supplémentaire en évoquant les poèmes du comédien, souvenir d’un séjour en République fédérale d’Allemagne, témoin d’une culture populaire déjà passée. Peu importe en fin de compte pour le public que le texte ait été réellement écrit ou pas par le comédien, l’évocation de son nom suffit à susciter un sentiment d’amusement et de divertissement.
Sans grande surprise ce sont les références à la culture populaire ou« pop culture »16 qui abondent dans les caricatures et images thématisant l’expérience du confinement et de la vie quotidienne en période de pandémie. Circulant avec une grande rapidité sur les réseaux sociaux, elles sont comprises par le plus grand nombre, ne nécessitent pas de décodage ou de connaissances littéraires et historiques approfondies et suscitent l’amusement en mettant à distance les incertitudes de la vie de tous les jours. Les personnages de bandes dessinées comme Astérix et Obélix d’Uderzo et Goscinny,
Il est intéressant de noter que les dessins empruntés à la bande dessinée d’Astérix et Obélix trouvent également leur expression dans les réseaux sociaux en Allemagne, comme le montre cette image publiée sur un compte twitter allemand18 et tournant en ridicule le comportement et les arguments des
Ce sont parfois les couvertures des albums de bandes dessinées qui sont détournées pour faire passer un message de colère ou d’indignation comme celle de l’album
Nombreuses sont aussi les images du chat du dessinateur belge Philippe Geluck commentant la vie quotidienne des confinés et masqués sur un ton léger et humoristique. Pas d’humour noir ici mais la pandémie fut une source d’inspiration21 pour l’auteur dont l’album
Ici aussi Geluck utilise l’humour pour faire passer un message,à savoir celui de porter un masque pour se protéger et protéger les autres. De son propre aveu, il a cherchéà susciter l’étonnement et le rire sans utiliser l’humour noir comme il le décrit dans une interview donnée à la
Long-métrages et dessins animés constituent également un réservoir d’images important pour les caricatures sur la Covid-19, comme le montre le long métrage d’animation
Le sentiment de frustration sociale dû aux mesures de restrictions imposées par le gouvernement français qui se sont succédé et ont limité les contacts sociaux trouve son expression humoristique dans de nombreuses images mettant en scène des personnages issus de la culture populaire cinématographique, comme ce montage associant la photo en noir et blanc du personnage de Raoul Volfoni interprété par Bernard Blier dans
Les références à une culture populaire commune a bien souvent une fonction dénonciatrice comme dans une image évoquant l’émission télévisée « Die Sendung mit der Maus », émission à visée éducative allemande qui existe depuis 1971 et fut regardée par des générations d’enfants avec leurs parents : on peut y lire : «Frag die Maus : Was ist ein Covidiot ? Ein Covidiot ist jemand, der sich über Maßnahmen beschwert, die man ohne sein Verhalten gar nicht bräuchte. » Une foule évoquant les manifestations contre les mesures de restrictions contre la propagation du Coronavirus est représentée en arrière-plan. La célèbre souris porte un masque de protection anti-Covid. L’image joue sur le caractère explicatif et pédagogique de l’émission télévisée qui s’applique à familiariser et vulgariser le savoir afin de le rendre accessible à un jeune public. Le ton didactique et explicatif contraste avec les termes sarcastiques employés qui, eux, incitent à se moquer des « covidiots »24.
Un autre exemple de l’utilisation d’éléments appartenant à la culture populaire sont les photographies représentant les acteurs de séries télévisées internationalement connues sorties de leur contexte d’origine et accompagnées d’une légende humoristique sur le Coronavirus. Pastiches et parodies se multiplient. Est utilisée une photographie de l’acteur Larry Hagmann (1931-2012), qui est connu du grand public pour son rôle emblématique de J. R. Ewing dans la série télévisée
Le détournement d’objets d’arts et de tableaux classiques célèbres trouve également sa place dans cette nouvelle iconographie de la pandémie ; ce procédé s’inscrit dans la tradition artistique de tableaux revisités et détournés de leur vocation initiale, en témoigne l’œuvre de Marcel Duchamp
Le tableau le plus parodié est incontestablement celui de
Reflets d’un langage pictural commun, le détournement de ces peintures classiques à travers l’humour témoigne d’un besoin de s’inscrire dans une mémoire culturelle collective et globale en des temps de destructuration, de repli sur soi et de bouleversement des rapports sociaux. Loin d’une déférence envers les grands classiques, ces détournements, travestissements et montages sont le reflet d’une réappropriation des chefs d’œuvre par la culture populaire.
L’étude de l’iconographie des caricatures et des blagues circulant sur les réseaux sociaux permet de dégager un certain nombre de constantes communes que l’on trouve d’une aire culturelle à l’autre. Le 23 mars 202027 on peut lire dans le journal
Les textes humoristiques quant à eux se construisent sur des stéréotypes et préjugés pour faire rire de la différence dans la nature des priorités en fonction des pays : «Hamsterkäufe : USA : Medikamente und Waffen/Italien : Zigaretten und Grappa/Frankreich : Kondome und Rotwein/Holland : Haschisch und Käse, Schottland : Whisky/Deutschland : Klopapier und Mehl/ Ich bin im falschen Land !!» ou encore : «In Deutschland gibt es Engpässe bei Klopapier.... In Frankreich werden Kondome und Rotwein im Supermarkt knapp.jede Nation verbringt den Weltuntergang halt anders ».
La fermeture des bars et des commerces qui ne sont pas de première nécessité constitue un second complexe thématique en Allemagne comme en France. Pour exemple la photo des jambes d’une prostituée dans une rue déserte comporte la légende « les commerces essentiels restent ouverts »29 pour se moquer de cette période de flottement et de confusion sur la définition des commerces de première nécessité lors du premier confinement en France. La fermeture et la réouverture des salons de coiffure fait également l’objet de nombreuses blagues et jeux de mots en allemand comme en français.
Autre expérience commune inédite depuis le début de la pandémie, la représentation du télétravail provoque le sourire et l’amusement. Il y a la photo d’un chien de berger surveillant son troupeau sur son écran ou encore le dessin montrant une femme de ménage en télétravail qui explique à son patron comment faire le ménage à distance, ce qui peut être mis en parallèle avec la représentation d’un médecin en télétravail écoutant les battements de cœur de son patient à travers le téléphone.. Les thèmes de la distanciation sociale, du port du masque et de l’expérience de l’école à la maison sont également communs à la France et à l’Allemagne.
L’expérience tout aussi inédite des fêtes traditionnelles dans un contexte pandémique de distanciation sociale et de restrictions donne lieu à de nombreux dessins humoristiques, comme les jeux de mots sur le poisson d’avril confiné au milieu d’une conserve de sardines. Même le Christ ressucité doit présenter son attestation de sortie. Plantu s’est quant à lui amuséà souhaiter de Joyeuses Pâques au nom d’une «Europe sous cloche ».
Lors des fêtes de fin d’année 2020/2021 l’on s’amuse beaucoup en Allemagne et en France de l’absurdité des mesures de restriction anti-Covid. Le nombre de personnes par foyer ayant le droit d’être présentes lors des fêtes de Noёl et du Réveillon devient un véritable casse-tête dont se moquent les Allemands dans de nombreux dessins humoristiques. L’introduction du Pass Sanitaire français et du fameux QR Code est également tournée en dérision : il est requis pour les Rois Mages eux-mêmes30. Sur une autre caricature, on voit une voisine mal intentionnée pourvue d’une paire de jumelles qui réclame un tarif progressif pour ne pas dénoncer les personnes ayant dépassé pour Noёl et le 31 décembre le quota autorisé : «2 bis 5 Gäste : 100 €; 6bis 10 : 150 € […] ; pauschal : 250 €». Même les biscuits traditionnels de Noёl allemands
Cependant textes et dessins reflètent l’espoir d’une année 2021 meilleure. D’ailleurs les mêmes vœux de Nouvel An, en allemand comme en français témoignent, par le biais de l’humour, d’une nostalgie prépandémique :
Ich wünsche uns für 2021, | Bonne année 2021, |
… dass „Corona” wieder ein Bier ist … dass wir, wenn wir uns wiedersehen, wieder einen Schritt nach vorne machen können und nicht mehr zurück … dass „P¤sitiv” wieder etwas Positives ist … dass „Tests” wieder in der Schule stattfinden … dass “Isolieren” wieder für Häuser und Kabel gilt … dass man mit einer „Maske” Karneval feiern kann … und dass “Donald” wieder eine Ente ist Ich wünsche euch einen guten Rutsch in dieses 2021! |
Que ce soit une année… oùCorona redevient une bonne bière où Donald redevient un canard où Positif redevient enthousiaste où l’isolation redevient un matériaux de construction où les cotons tiges seront utilisés que pour les oreilles où les masques ne seront que pour Mardi gras où s’embrasser redevient une joie où se faire des câlins sera un bonheur Simplement que le normal ne soit plus anormal |
Nombreuses sont les critiques envers les hommes politiques et leurs mesures gouvernementales jugées inacceptables, comme les images se moquant d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé à partir de février 2020, ou encore du scandale de l’affaire des masques de Jens Spahn, Ministre fédéral allemand de mars 2018 à décembre 2021.
La fermeture des frontières dans l’espace européen ainsi que toutes les mesures limitant la libre-circulation des personnes fait également l’objet de blagues visant à comparer le quotidien en temps de pandémie avec le vécu en ex-RDA : « Reiseverbote innerhalb des Landes – RESPEKT – das hätte sich nicht mal Erich getraut ». Une photo représente un Honecker souriant qui déclare : « Genossen, am Wochenende wird die Zeit zurückgedreht ». A l’inverse des images et blagues mettant en scène une expérience commune et quotidienne en temps de pandémie, ces clichés mettant en scène des hommes politiques en poste ou des personnalités politiques historiques sont pour la plupart seulement facilement décodables et rapidement interprétables dans un contexte national donné, notamment parce qu’ils présupposent une connaissance au moins superficielle des politiques anti-covid mises en place par les différents gouvernements et hommes politiques. Si l’on ne peut pas parler ici d’une mémoire visuelle communicationnelle et culturelle commune, la stratégie dénonciatrice est similaire.
La manière dont le réseau de trains de proximité berlinois Was haben drei Corgis, ein Herz mit Maske und eine Landingpage im Netz gemeinsam? Sie alle gehören zum umfangreichen Paket der BVG-Kommunikationsmaßnahmen rund um die Corona-Pandemie und die sichere Fahrt mit Bus und Bahn. Dafür sind die Berliner Verkehrsbetriebe am gestrigen Donnerstag mit dem renommierten Deutschen Preis für Wirtschafts-kommunikation ausgezeichnet worden31.
Les mesures anti-Covid se mettent rapidement en place dans les transports en commun ; dès le 27 avril 202032 le port du masque devient obligatoire sous peine d’une amende forfaitaire de 50 euros. La BVG déploie cependant de nombreux moyens pour faire respecter les règles de distanciation sociale et de port du masque, par exemple au moyen de courtes phrases marquées sur le sol et accompagnées de dessins explicites : «1,5 m Abstand = 1 Tagesration Pizza » ou «1,5 m Abstand = 5 Bierkästen ». L’idée est simple et amusante, d’autant que le sigle de la BVG se transforme également en un cœur affublé d’un masque. Parallèlement des vidéos humoristiques sont publiées sur les réseaux sociaux ; une vidéo de 20 secondes intitulée « Maskenmuffel » est postée sur la chaîne YouTube de la BVG « Weil wir dich lieben ». On y voit un employé de la BVG se trouvant dans une trame de métro qui s’inspire de la gestuelle des hôtesses de l’air avant le décollage d’un avion et il fait tomber des masques de protection anti-Covid à la place des masques à oxygène. La vidéo se termine par les termes suivants : « Maskenmuffel riskieren mindestens 50 Euros. Schütz andere. Dich. Und deinen Geldbeutel ».
Tout comme les slogans placés sur le sol, ces vidéos sont destinées à frapper rapidement les esprits. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la BVG publie des vidéos humoristiques pour faire passer ses messages. Certains marquages au sol sont un clin d’œil à la collaboration avec le jeune chanteur décédéKazim Akboda qui avait fait une nouvelle version de sa « Roboter mit Senf » pour la BVG, « Is’ mir egal »33 dans laquelle il chantait les paroles suivantes « Roboter mit Senf.is’ mir egal […] ». Cette vidéo diffusée sur YouTube a été visionnée plus de 13 millions de fois et elle montre la volonté de la BVG de distraire les Berlinois en période de pandémie, y compris par des «Insider Jokes ».
Un autre exemple de cette campagne de communication construite sur l’humour s’intitule « Liebe Masken, zieht euch bitte einen Berliner an » avec la porte de Brandebourg en arrière-plan. Par cette inversion et anthropomorphisation des masques, l’on cherche à faire sourire l’utilisateur de transports en commun tout en lui rappelant la nécessité de porter le masque. L’humour est utilisé en tant que stratégie plus efficace que la répression pour faire respecter les mesures et contraintes sanitaires. Par cette campagne de la BVG, l’utilisation de l’humour a réussi à remplir une triple fonction : didactique, pédagogique et incitative.
La question que nous posions initialement était celle d’une alternative entre la mémoire visuelle communicationnelle et l’aire culturelle respective dont dépendent ces caricatures.
Mais nous constatons que ces deux formes de référentialité sont en fait ici étroitement liées. Les références à la conjoncture –la crise du Covid et sa temporalité – et le recours à la mémoire visuelle –durable –sont imbriquées sous l’effet de l’humour. D’une part les caricatures et les sarcasmes contribuent certes à briser l’harmonie d’une collectivité et dénoncent non seulement les déviances mais aussi les disfonctionnements des systèmes de protection et d’information. D’autre part elles retissent pourtant le lien social dans la mesure où elles se réinscrivent dans une mémoire culturelle commune.