La carrière d’auteur qu’a connue le grand professeur de droit et ancien juge à la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, Ernst-Wolfgang Böckenförde (1930-2019), a débuté par la publication de deux essais remarqués dans la revue catholique Hochland en 1957 et en 1961. Ceux-ci, consacrés respectivement au rapport problématique de l’Eglise catholique à la démocratie et à la situation interne du catholicisme allemand en 1933, firent grand bruit et furent âprement discutés dans le milieu catholique et au-delà. Ils étaient emblématiques de la politique d’ouverture politique, culturelle et théologique promue par cette revue, sous la direction de son éditeur intellectuel et rédacteur en chef (Herausgeber und Hauptschriftleiter) après 1945, Franz-Joseph Schöningh (1902-1960). Mais la période de gloire de la revue fondée en 1903 par Carl1 Muth (1867-1944) correspondait plutôt aux deux premières phases d’existence de Hochland, sous le Kaiserreich et la République de Weimar, périodes également les plus traitées par les chercheurs s’intéressant à cette revue. Dédiée à la culture au sens large, ou plus exactement à « tous les domaines du savoir, de la littérature et de l’art », comme l’indiquait son sous-titre initial2, la revue Hochland est aussi associée couramment par les historiens et théologiens à la notion de Kulturkatholizismus. Contrairement au concept de Kulturprotestantismus, cette notion est assez peu répandue en Allemagne et moins bien connue. Quoique calquée formellement sur le premier, elle ne semble cependant pas recouvrir symétriquement les mêmes idées ou connotations et renvoie à un contexte historique spécifique, plein de tensions et de contradictions, la modernité culturelle pessimiste et critique au tournant du XIXe et XXe siècle.
Il paraissait important dans un numéro consacré aux interactions multiples entre culture et religion de revenir sur le contexte d’apparition de ce terme et son usage, à défaut de pouvoir en retracer la généalogie. L’idée de l’étudier en outre spécifiquement sous l’angle du traitement de l’art et de l’image d’art dans cette revue culturelle prestigieuse est née à la faveur de la consultation du périodique pour y examiner le cadre dans lequel furent publiés les deux articles de Böckenförde : la présence de reproductions artistiques de grande qualité ne laissait pas d’intriguer et soulevait nombre de questions relatives à leur statut dans la revue ainsi qu’à la politique éditoriale éventuellement menée à leur endroit. Constituaient-elles un élément de continuité avec la période d’avant 1945 ? Pouvait-on les considérer comme une composante importante du Kulturkatholizimus assigné à cette revue et revendiqué par elle ? En vue d’éprouver la pertinence de ces questions et tenter d’y répondre, nous avons mené en 2022 une enquête dans les archives des éditions Kösel conservées par l’Université d’Eichstätt. La confrontation des fruits de cette investigation avec l’historiographie disponible à la fois sur Hochland ainsi que sur le phénomène de Kulturkatholizismus a confirmé la validité de notre intuition de départ et orientera la présentation de nos résultats3. Nous procéderons ce faisant en trois temps : l’étude des enjeux relatifs à la création de Hochland ainsi que du contexte historique dans lequel celle-ci s’inscrit est propice à éclairer le sens et la portée du terme Kulturkatholizismus en Allemagne au tournant du XIXe au XXe siècle (1ère et 2e parties). Il faudra se demander cependant dans quelle mesure les caractéristiques dégagées à l’appui de cette identité particulière s’avèrent encore valables après 1945, dans un environnement politique et intellectuel différent (3e partie). L’analyse de deux cas concrets, le traitement de l’art et de l’image d’art dans la revue ainsi que l’attachement d’Ernst-Wolfgang Böckenförde pour Hochland, offrira quelques éléments de réponse en faveur d’une continuité de l’héritage de Carl Muth, lequel devint plus fragile à la fin des années 1960. L’apport des archives sera précieux : alors que les études sur Hochland, ainsi que sur catholicisme et culture sont légion pour le Kaiserreich et la République de Weimar, elles sont en revanche beaucoup plus rares (voire inexistantes sur le thème des beaux-arts et de l’image), pour ce qui est du devenir de la revue après la Seconde Guerre mondiale.
La période et les problématiques ici abordées sont, on le verra, riches de questions terminologiques complexes. On a choisi de ne pas traduire le terme de Kulturkatholizismus en français, contrairement à l’option retenue par Gilbert Merlio dans son éclairante étude sur la ligne éditoriale politique de Hochland au fil du temps (Merlio 2006). La traduction littérale véhicule une transparence trompeuse. L’expression « catholicisme culturel », en effet, ne rend compte que très imparfaitement de la notion allemande, voire induit en erreur car elle sous-entend que le catholicisme ainsi spécifié se réduit à une sorte de substrat culturel, déconnecté des convictions religieuses. En allemand, en revanche, le mot composé invite à considérer la conciliation (voire la réconciliation4) entre catholicisme et culture moderne, c’est-à-dire précisément la tâche à laquelle Carl Muth s’est passionnément consacré en créant sa revue.
KULTURKATHOLIZISMUS – UN TERME, LE CONTEXTE DE SA GENÈSE ET DES FORMES DIVERSES AU TOURNANT DU XIXe AU XXe SIÈCLE
Précisions terminologiques
La notion de Kulturkatholizismus puise ses racines historiques et conceptuelles dans un contexte au moins triple, lié d’une part à l’inflation et à l’usage emphatique du terme de Kultur au tournant du XIXe au XXe siècle, ainsi qu’à la mutation sémantique opérée par lui à cette époque et d’autre part, à la forte polarisation observée en interne au sein des confessions chrétiennes ainsi qu’à la vive concurrence entre elles (vom Bruch/Graf/Hübinger 1989 ; Graf/Tanner 1990). Il en résulte une forte dimension polémique tant du terme de Kulturkatholizismus que surtout du terme sans doute antérieurement forgé de Kulturprotestantismus5. L’historiographie relative au premier s’avère en outre également clivée, notamment entre les représentants d’un Kulturkatholizismus intégraliste – ce qui peut paraître à première vue un oxymore (voir Hürten 1996, Langner 1984) – se déployant en particulier sous la République de Weimar et les tenants d’une description moins normative du phénomène (Weiß 2002, 2014). Tandis que le terme de Kulturprotestantismus est présenté unanimement avant tout comme une étiquette extérieure attribuée à un certain courant théologique protestant, les opinions divergent sur le fait de considérer celui de Kulturkatholizismus comme une dénomination externe (Graf 1990 : 233) ou au contraire exclusivement comme un qualificatif d’autodésignation positive (Schmidt 1997). Les exemples étudiés ici semblent montrer que l’usage du concept Kulturkatholizismus est critique ou ironique au départ, puis endossé de façon largement positive aussi bien par les acteurs que par l’historiographie, avec cependant un éventail de points de vue assez considérable, comme nous le verrons6.
Une des difficultés consiste à distinguer le mot et la chose, c’est-à-dire un usage littéral et un emploi extensif des concepts, tant pour le terme protestant que pour le terme catholique. Le fait qu’on puisse s’appuyer sur de nombreuses notices d’encyclopédies ou études sur le phénomène du Kulturprotestantismus peut induire en outre un biais implicite sous-entendant une large antériorité que les esquisses d’histoire conceptuelle viennent corriger : il est frappant au contraire de constater combien les deux termes se construisent en miroir presque au même moment et comportent (en décalé l’un par rapport à l’autre, semble-t-il) une forte dimension d’hostilité vis-à-vis de l’autre confession7.
Au-delà des considérations purement notionnelles, ces deux termes apparaissent donc à la fois très imbriqués l’un dans l’autre en raison de l’arrière-plan de fortes rivalités intra- et interconfessionnelles qui les accompagnent, mais aussi tous deux intrinsèquement liés à toute une constellation terminologique désignant des moments ou réalités importantes du XIXe siècle en général et ayant marqué l’histoire du catholicisme et du bi-confessionalisme de cette époque en particulier. On pense notamment à la valorisation hypostasiée de la Bildung comme Religionsersatz8 et au développement concomitant d’une couche sociale spécifique, la bourgeoisie cultivée (Bildungsbürgertum) à cette époque (Langewiesche 19969), volontiers associés à la notion de Kulturprotestantismus. Quant au Kulturkatholizismus10, citons en bloc, avant de les contextualiser plus avant, une série de mots-clefs essentiels tels que le refus du ghetto catholique, de l’isolement ou de la tour d’ivoire11, le désir d’intégration à la nation allemande et dans la société wilhelminienne12 (Hürten 1996, Holzem 2002), sans oublier le débat sur l’infériorité numérique ou qualitative des catholiques sous le Kaiserreich (Inferioritätsdebatte, Baumeister 1987), « l’imparité », la crise moderniste (Scheffczyk 1982, Trippen 1982, Weiß 1995, Kaschke 2019) ou encore l’éclatement en divers courants, témoignant d’un pluralisme en germe (catholicisme libéral13 contre intégralistes entre autres, mais aussi tensions entre ce qui fut respectivement appelé « politischer Katholizismus » et « sozialer Katholizismus » en lien respectif avec le Zentrum ou certaines associations et syndicats catholiques). Chacun de ces termes et phénomènes nécessiterait de longs développements impossibles à réaliser dans le cadre du présent article.
L’évolution du catholicisme en Allemagne au XIXe siècle ou comment le catholicisme allemand s’est transformé en une « culture à part » (Sonderkultur)
Hans Maier (2010, 2016) a, à plusieurs reprises, brossé à grands traits l’évolution du catholicisme allemand au XIXe siècle. Dans ses petites synthèses historiques efficaces, il met en avant diverses césures qui ont transformé les équilibres confessionnels et représenté des pertes sévères pour le monde catholique en Allemagne : dans le sillage du recès de l’Empire de 1803 et de la disparition des principautés ecclésiastiques, les « écosystèmes » culturels liés aux abbayes ou aux fondations religieuses (bibliothèques, établissements d’enseignement supérieur notamment) ont disparu dans le sud et l’ouest de l’Allemagne. La notion de parité juridique entre confessions, régulée par des structures de type corporatif (Stände) dans le Saint Empire, n’a plus eu cours après la dissolution de ce dernier en 1806 ; l’existence politique des confessions était gérée désormais essentiellement à l’échelle territoriale. La fin de la Confédération germanique en 1866 et l’éviction de l’Autriche du processus d’unification naissant, confirmée par la création du Kaiserreich en 1871 scellèrent pour plus de 70 ans la position d’infériorité numérique des catholiques au sein du Reich allemand, dans un rapport relatif d’environ 1/3 contre 2/3 pour les protestants, qui resta assez constant malgré des variations en chiffres absolus dans certaines régions. Il n’est pas nécessaire de rappeler ici combien le Kulturkampf qui s’ensuivit renforça au sein du catholicisme allemand les réflexes défensifs et le sentiment d’être une minorité assiégée. On se contentera de résumer ce moment répressif et hautement conflictuel par ces mots de l’historienne américaine Margret Lavinia Anderson, cités par Hans Maier : par le Kulturkampf, « la majorité protestante » tente « d’ériger, par-delà les frontières confessionnelles, une culture nationale homogène et, ce faisant, d’aligner, par la force, sur la haute culture protestante la culture catholique considérée comme mineure car populaire. » A ces données contextuelles qui s’imposent au catholicisme, il faut ajouter les facteurs relatifs au raidissement idéologique progressif de la papauté au long du XIXe et ses multiples prises de position contre la modernité issue des Lumières (Weiß 1995, Kaschke 2019).
Au tournant des années 1880/1890 se fit jour cependant chez diverses personnalités catholiques une prise de conscience relative à la nécessité de sortir de l’isolement et de combattre les facteurs internes d’une infériorité politique et culturelle quantitative et qualitative. Ce qu’on a appelé le « débat sur l’infériorité » fut mené à divers niveaux et conduisit à des initiatives concrètes en vue d’élever le niveau culturel de la population catholique et de l’armer non seulement dans son dialogue avec les protestants, mais aussi en vue d’occuper davantage de postes qualifiés dans l’administration et la société. Ainsi furent créées différentes associations, telles la société Görres en 1876/96 ou les associations Boniface (Bonifatius-Vereine) en 1884 (Langewiesche 1996) entre autres, pour soutenir le monde académique catholique et hisser la science produite par les catholiques au même niveau d’exigence que chez leurs homologues protestants. L’association populaire pour l’Allemagne catholique (Volksverein für das katholische Deutschland, Maier 2016) s’adressait, elle, prioritairement aux ouvriers catholiques.
Les figures les plus couramment citées dans ce contexte de lutte contre l’infériorité ou pour l’intégration sont Georg von Hertling, fondateur de la société Görres et futur chancelier, dont le diagnostic d’un déficit culturel à combler (Bildungsdefizit) chez les catholiques fut très remarqué, et Carl Muth, fondateur de Hochland en 1903, « champion dans le domaine de la culture » (« im Bereich der Kultur an der Spitze », Weiß 2016), qui s’est illustré, on le verra plus loin, tant dans l’analyse des causes d’un retard catholique en matière de littérature que dans la mise en œuvre d’une solution concrète, par la création de sa revue culturelle.
LA CRÉATION DE HOCHLAND À L’INITIATIVE DE CARL MUTH : UN EXEMPLE SPÉCIFIQUE DE KULTURKATHOLIZISMUS ?
Ce qui semble cependant distinguer Carl Muth et sa revue d’un certain nombre de projets réalisés dans ce contexte, c’est un positionnement très spécifique en termes d’ouverture confessionnelle. Cette dernière est à la fois un trait personnel propre à la biographie de Carl Muth et une des marques de fabrique de la revue. Il est du reste frappant de constater combien certains représentants de l’historiographie catholique passent cet aspect sous silence (Becker 2009).
Mais qui est Carl Muth ? Originaire de Worms dans la Hesse rhénane, né en 1867 d’un père artisan d’art, il est très tôt fasciné par les missions religieuses et interrompt à deux reprises en ce sens sa scolarité au lycée pour fréquenter d’abord un pensionnat hollandais, puis l’école missionnaire des Pères blancs en Algérie. Ce projet tourne court, car il n’y trouve pas l’ouverture d’esprit recherchée. Anecdote significative : alors qu’il se passionne pour la littérature française et le renouveau catholique français, on lui confisque au pensionnat de Steyl en Hollande son exemplaire du Génie du christianisme de Chateaubriand qui figurait à l’index. Lui qui incarne le catholicisme cultivé ne terminera pas son cursus lycéen et divers éléments concernant sa formation demeurent à éclaircir (Pittrof 2018 : 448-449), puisqu’il put suivre malgré tout des cours de germanistique, histoire, économie, droit à l’Université de Berlin. Il séjourne ensuite à Paris et à Rome et garde des liens et un attrait fort pour les cultures française et italienne dont la revue Hochland se fit l’écho. C’est à cette époque, en 1892/1893 qu’il commence à écrire et travailler pour divers périodiques catholiques : Germania (1871-1938), quotidien publié par le Zentrum dans toute l’Allemagne, Der Elsässer (1885-1935), quotidien proche du Zentrum alsacien, pendant sa période allemande, ou encore la revue familiale illustrée (illustriertes Familienblatt), Alte und neue Welt (1866-1945), publiée en Suisse par les éditions Bentziger. A la fin de cette décennie, Carl Muth lance, par ce qu’il est convenu d’appeler ses « Veremundus-Schriften », du nom de trois textes publiés sous le pseudonyme de Veremundus pour le premier en 1897, puis en nom propre en 1898 et en 190914 (Giacomin 2018), une large discussion sur les critères permettant d’évaluer la qualité de la littérature catholique. « Ainsi, note Otto Weiß, c’est très progressivement qu’il est entré dans l’univers culturel catholique bien que son parcours ne l’ait pas jusqu’ici engagé dans une voie strictement confessionnelle » (Weiß 2016, p. 33). En effet, tant par ses amitiés, notamment les liens étroits avec Friedrich Lienhard, protestant et représentant du mouvement défendant un art local enraciné (Heimatkunstbewegung), avec lequel il entretint une correspondance suivie, que par ses goûts littéraires ou certains engouements idéologiques, il faisait preuve d’un certain éclectisme qui ne correspondait pas au mainstream catholique de l’époque : il était notamment un fervent défenseur du classicisme weimarien, tel qu’incarné par Goethe et Schiller et véritable parangon littéraire à ses yeux, alors que certains cercles catholiques voyaient dans le premier un auteur « qui faisait courir la jeunesse à sa perte » (Verderber der Jugend, Weiß 2016 : 35). Comme du reste d’autres catholiques de l’époque, libéraux ou au contraire antimodernistes, il fut attiré par certaines idées développées par le polygraphe à succès, contempteur pessimiste de la civilisation moderne, Julius Langbehn (1851-1907) dans Der Rembrandtdeutsche (1892) : valorisation d’un aristocratisme paysan face au nivellement démocratique, enthousiasme pseudo-religieux pour la nature notamment, sans adhérer à ses tendances völkisch et antisémites (Weiß 2014). Ses opinions personnelles furent longtemps empreintes de nationalisme ; par conviction et souci d’intégration à la culture nationale, il se rangeait dans le camp des partisans de la petite Allemagne prussienne, contrairement à nombre de catholiques, tenants d’une Reichsideologie représentée par l’Autriche. Ces options antagoniques se retrouvèrent dans la controverse qui l’opposa à partir de 1909 au philosophe autrichien Richard Kralik (1852-1934), ancien auteur de Hochland et fondateur de la revue catholique concurrente Der Gral en 1909. C’est d’ailleurs Kralik qui manœuvra avec d’autres en vue de la mise à l’index de Hochland en 1911. L’intervention du nonce en faveur de la revue lui permit d’échapper finalement à l’interdiction effective.
Lorsque fut créé Hochland en octobre 190315, il s’agissait donc de mettre en œuvre en quelque sorte un programme d’ouverture du catholicisme à la modernité culturelle, en particulier littéraire, en faveur de laquelle Carl Muth s’était engagé avec ferveur dans ses « Veremundus-Schriften » : il s’y livrait à un règlement de compte avec la littérature et la critique littéraire catholiques considérées comme résolument non-modernes, ennuyeuses, prudes et empreintes de dilettantisme. Le roman idéologique (Tendenzroman) enfermé dans un carcan didactique ou édifiant était sa cible. Selon lui, les ecclésiastiques, notamment jésuites, qui exerçaient un monopole critique et normatif, ainsi que les maisons d’édition catholiques étaient responsables de cet appauvrissement renforçant le désintérêt des lecteurs pour la vie culturelle de la nation. Le contre-modèle positif proposé mettait en avant le souci de la forme, le Beau, des catégories telles que l’autonomie, la subjectivité, condamnées toutes deux comme typiques de l’époque moderne (Neuzeit) par Pie IX dans l’encyclique Quanta cura (1864), ou encore une certaine émancipation par rapport à l’Eglise. Il s’agissait d’allier idéalité catholique et réalisme moderne.
En fondant Hochland, Carl Muth voulait d’une part égaler16 la revue protestante conservatrice Der Türmer (1898-1943) qui prétendait couvrir toute l’actualité intellectuelle, culturelle et sociale de son temps, et comme elle, embrasser et accompagner tous les domaines du savoir, et d’autre part, aussi rassembler divers courants. La recherche souligne unanimement cette voie moyenne recherchée, ce souci de dialogue et de médiation. Ceci explique que la revue ait pu, malgré une proximité intellectuelle certaine avec le catholicisme libéral (Weiß 1995 : 463), être critiquée comme un peu tiède par des catholiques réformateurs radicaux auxquels elle offrait par ailleurs une tribune. La pluralité des points de vue exprimés dans ses pages explique aussi certaines ambiguïtés ou tensions ayant caractérisé la ligne éditoriale et les divers contenus, par-delà les époques traversées jusqu’à l’interdiction de la revue en 1941 (et la mort de Carl Muth en 1944) : entre nationalisme et ouverture internationale, critique de la démocratie et « républicanisme de raison », dérapages ponctuels (rares) en direction de l’antisémitisme et esprit de résistance sans faille mais nécessairement crypté sous le IIIe Reich, pour ce qui est des idées politiques marquées avant tout par un « conservatisme de valeurs » (Merlio 2006, Ackermann 2007). Une ambivalence similaire est observable dans les domaines de la littérature et de l’art. Ainsi les travaux de C.M. Giacomin (2009, 2014, 2018) ont montré que le traitement de la littérature et de la critique littéraire dans Hochland sous le Kaiserreich était traversé de tensions et de contradictions : ouverture à une certaine modernité d’un côté, respect de la tradition de l’autre et relativement peu de place pour l’avant-garde hormis quelques exceptions. Ce bilan circonspect et nuancé est proche de l’analyse effectuée par G. Streicher au titre de l’image d’art à la même époque et en particulier dans les tout débuts de la revue. Le romantisme tardif des Nazaréens Eduard von Steinle, Ludwig Richter et Moritz von Schwind fut mis à l’honneur, mais aussi des artistes contemporains figuratifs locaux, engagés en faveur de l’art chrétien. Cependant, on ne trouve jusqu’en 1941 aucun représentant de l’avant-garde munichoise du Cavalier Bleu (Blauer Reiter) par exemple. De façon analogue, mais plus discrètement que pour la littérature, Muth affirmait pour l’image et les arts plastiques une même volonté d’émancipation critique par rapport aux critères étroits propagés par l’Eglise catholique (pruderie, condamnation de la nudité, d’un « renaissancisme » considéré comme païen, subjectiviste, notamment).
Parmi les traits les plus marquants de la revue, il faut retenir le haut niveau d’exigence intellectuelle visé, allié à une pensée de l’idéal. Ils se sont exprimés dans la métaphore de l’élévation signifiée dans le titre Hochland17 (haut-plateau) et la devise qui figura pendant les seize premières années au-dessus de la vignette ornant la première page de texte : « Hochland, hohen Geistes Land – Sinn dem Höchsten zugewandt »18. Dans la préface du premier numéro de la revue (octobre 1903), Carl Muth s’expliqua longuement sur l’idéalité recherchée, combinée à une volonté de réalisme. Son appel rassembleur était adressé à toutes les forces idéalistes. Hochland ne chercha donc pas à toucher un public populaire19. Cet élitisme n’empêcha pas la revue d’atteindre très vite un tirage de 10 000 exemplaires, certes conséquent mais à mettre en regard des 60 000 ou 90 000 abonnés de revues catholiques « grand public », Sendboten des Hl. Herzens Jesu et Notburga (Holzem 2022 : 26). Les choix éditoriaux – grande variété des rubriques (littérature, musique, art, théologie, économie, histoire), format divers et relativement court des articles de nature essayistique, présence de quelques illustrations choisies avec soin – en faisaient en outre une lecture plaisante (Becker 2009 : 36).
LA REVUE HOCHLAND APRÈS 1945 : QUELLE CONTINUITÉ ?
Facteurs de continuité par-delà les changements de contexte
A ces éléments, il faut ajouter au moins deux autres caractéristiques susceptibles d’expliquer la stabilité de l’intérêt suscité par la revue et la manifeste fidélité de ses lecteurs, malgré les changements d’époque et de régime20 : d’une part, une volonté délibérée de ne pas se préoccuper des vicissitudes politiques au jour le jour (Tagespolitik), mais au contraire de se concentrer sur les questions de fond (das Grundsätzliche)21, d’autre part, une conception de la catholicité en termes d’ouverture qui – on a pu le pressentir dans l’absence d’anti-protestantisme – coïncide avec la dimension étymologique universalisante du mot.
Tous ces éléments mis bout à bout constituent sans doute les ingrédients principaux de cet esprit contagieux, enthousiaste et libérateur suscité par la revue et partagé par différentes générations de lecteurs de Hochland (Pittrof 2018 : 253-255), tel Hans Scholl proche de Carl Muth qu’il avait aidé à cataloguer sa bibliothèque. La consultation des archives le confirme : lorsque paraît en 1953 un numéro spécial fêtant le jubilé de la revue, les lettres d’Allemagne et de l’étranger affluent pour féliciter la rédaction. Un phénomène similaire est observable en 1957 à la faveur de la parution de l’article de Böckenförde, « L’ethos de la démocratie et l’Eglise » (Le Grand 2023 : 74sq.).
Ainsi la ligne défendue par Carl Muth est non seulement demeurée constante sur tous ces points, mais fut poursuivie également par ses successeurs à la tête de la revue après 1945, en particulier par Franz Josef Schöningh (1902-1960), qui, parallèlement co-fondateur et éditeur intellectuel du grand quotidien Süddeutsche Zeitung, s’occupa de relancer la revue après-guerre. Déjà rédacteur (1935-39), puis rédacteur en chef (1939-41) de la revue, il retrouva ce poste à l’automne 1946, conformément à un souhait de Carl Muth et fut nommé éditeur intellectuel de la revue en 194722. Il était assisté de Karl Schaezler, lui aussi déjà rédacteur (depuis 1925) et qui prit sa succession en tant que rédacteur en chef (1960-1966) à sa mort23. Comme Carl Muth avant lui, F.-J. Schöningh s’efforce d’attirer de jeunes auteurs talentueux et la consultation des archives permet de mesurer l’importance qu’il leur accorde, le caractère particulièrement chaleureux des échanges avec eux et le sens très sûr manifesté par lui pour les repérer. Il les suit de près, les encourage dans l’écriture (comme on peut le voir avec Böckenförde) et entretient même avec certains des relations père-fils (comme c’est le cas avec Friedrich Heer). Nombre de théologiens, philosophes, historiens de haute tenue publient dans la revue tels Johann-Baptist Metz, Hans Urs von Balthazar, Joseph Ratzinger, Robert Spaemann, Hans Blumenberg, Heinrich Lutz qui sont promis à un bel avenir. On peut supposer que la revue a constitué une forme de rampe de lancement pour d’autres auteurs que le seul Böckenförde en 1957 et 1961. Au-delà de la ligne moyenne libérale-conservatrice observée précédemment, d’un intérêt pour l’idée d’Occident et d’une ligne antitotalitaire (Merlio 2006, Unger-Alvi 2023), on note une inflexion en direction de la réflexion critique sur le passé récent, politique et religieux, tandis que l’ouverture sur la France demeure très présente (travaux de Hans Maier, recensions sur Maurice Blondel, le cardinal Suhard, article sur les prêtres ouvriers, sur la sociologie religieuse de Gabriel Le Bras, traductions de Philippe Jacottet). Les archives montrent les contacts de Schöningh avec Paul Claudel, Elise Jouhandeau, l’épouse de Romain Rolland, entre autres.
La place de l’art et de l’image d’art
En matière d’art, Schöningh semble emboîter le pas à Carl Muth à ceci près qu’il ne rédige pas de commentaire d’oeuvres. La revue a pour objectif de publier quatre illustrations par numéro, qu’il s’agisse de reproductions en noir et blanc sur papier ordinaire ou parfois de reproductions en couleur sur papier glacé. La présentation est parfois aléatoire : les images sont publiées fréquemment sans légende et sont recensées dans une rubrique dont le nom varie (Unsere Bilder, Beilagen, Kunstbeilagen) et qui figure uniquement dans le récapitulatif de chaque volume annuel. Les oeuvres sont parfois doublées d’une présentation de l’artiste. Les archives (notamment en 1957 et 1958) révèlent tout le soin apporté par Schöningh à s’entourer d’interlocuteurs compétents24 soit pour lui proposer des images de qualité, soit pour rédiger des commentaires d’oeuvres, ou encore l’informer d’événements ou de publications en rapport avec l’art chrétien. Contribuer à faire connaître de jeunes artistes et « à faire briller leur étoile » fait aussi partie des objectifs de Schöningh25. L’éventail d’oeuvres reproduites se répartit entre l’art ancien (peinture chinoise, art sumérien, email de Limoges, évangéliaire carolingien ou autre, catacombes), l’art liturgique (Gurker Fastentuch, Votivbilder) et la sculpture chrétienne médiévale, des reproductions d’oeuvres de grands peintres de la modernité classique (Marc, Beckmann, Matisse, Chagall, Rouault, Manessier et notamment leurs oeuvres d’inspiration religieuse) et enfin des artistes contemporains plutôt figuratifs, actifs à Munich et régulièrement montrés dans la revue, tout particulièrement Richard Seewald (1889-1976), déjà bien présent dans l’entre-deux guerres et Karl Knappe (1884-1970), notamment avec des oeuvres à thème biblique. On observe donc une orientation proche de celle observée pour la période antérieure (Streicher 2018a, Pittrof 2018 : 455, 458), c’est-à-dire un équilibre analogue entre tradition et modernité (mesurée), avec un petit décalage dans le temps en direction d’une modernité plus récente : en effet, à part Beckmann ou Dix (une ou deux fois), très peu d’artistes de la modernité classique étaient reproduits dans la revue avant 1945. En 1957, Schöningh refuse de reproduire une oeuvre de Bernard Buffet, « vraiment trop triste »26. L’historien d’art Anton Henze qui lui suggère des oeuvres et écrit des commentaires (Kunstglossen) ou des articles sur l’art chrétien note en 1958 le dilemme auquel il est confronté, sans doute typique du Kulturkatholizismus : « on est suspect auprès des ‘modernes’ parce qu’on est catholique et on l’est aussi auprès des catholiques, parce qu’on est ‘moderne’ »27.
Quel est le sens attaché à ces images, notamment religieuses ? Dans un échange avec le même interlocuteur, Schöningh expose le 11.3.1958 ses critères : il privilégie en matière d’art religieux de grandes œuvres peu connues, ne comportant pas de caractère problématique (sans expliciter ce qu’il entend par là). L’œuvre doit être facile d’accès, convaincante et facilement compréhensible, elle est là pour « saluer » le lecteur (den Leser begrüßen)28. Pourtant, le placement d’un certain nombre d’images dans la revue est loin d’être anodin : avoir mis en exergue de la controverse entre H.J. Spital et Böckenförde autour de « L’ethos de la démocratie moderne et l’Eglise » (Hochland 50, 1957/58 5. Heft, Juni 1958 : 26) une gravure sur bois (1455-1470) représentant les plaies du Christ (cœur, pieds et mains transpercés) ou bien avoir inséré un portrait peint de Carl Muth non légendé au milieu de l’essai de Böckenförde « Le catholicisme allemand en 1933 » (Hochland 53, 1960/61 3. Heft, Februar 1961 : 229) semble particulièrement signifiant. Autre exemple plus parlant encore : le numéro-jubilé (Jubiläumsausgabe) de 1953 comporte une image en couleur sur papier glacé d’Ewald Mataré (1887-1965), la porte de bronze de la cathédrale de Cologne représentant l’incendie de Cologne (« Der Brand von Köln » oder « Die brennende Stadt »), que Schöningh a choisie comme quatrième image représentant l’évolution de la revue depuis sa création29. On rejoint là certaines conclusions de G. Streicher sur le rapport texte/image, conformes à l’exemple cité par R. van Dülmen pointant le message subliminal attaché à la publication, en plein IIIe Reich, de reproductions d’œuvres de Jérôme Bosch représentant l’enfer et le charlatan (van Dülmen 1973 : 301).
L’ouverture en direction du catholicisme réformiste : un enjeu toujours d’actualité
L’analyse des enjeux liés à la publication des essais de Böckenförde dans Hochland en 1957 et 1961 (Le Grand 2023 : 89-98, 119-130) montre que la reconnaissance du pluralisme et le droit à la critique interne au sein de l’Eglise catholique étaient tout sauf évidents dans les années 1950/60. Hochland a dans ce contexte offert une caisse de résonance bienvenue aux thématiques critiques développées par une mouvance informelle qualifiée entre autres de « non conformiste » (nichtkonform) et « catholique de gauche » (linkskatholisch). Son statut de revue « politicoculturelle » « exigeante » (Stankowski 1974 : 17-18, 330) a légitimé et rendu plus visibles que ne l’aurait fait une revue plus confidentielle et typée politiquement, tels les Werkhefte, les revendications et critiques exprimées. Quelles étaient-elles ? Si l’on prend l’exemple du premier essai de Böckenförde sur « L’ethos de la démocratie et l’Eglise » (1957), il s’agissait de montrer les limites, face aux formes étatiques, des principes statiques et abstraits fondés sur le droit naturel néoscolastique et développés par la théologie morale et l’éthique sociale catholique : ces principes se montraient incapables de fournir des critères pertinents pour l’action politique. Le pendant positif de cette critique était un plaidoyer en faveur de l’historicité et de l’attention portée aux situations concrètes, un appel à la reconnaissance de la compétence et de l’autonomie des laïcs30, un rappel des origines intellectuelles de la démocratie moderne, une défense de la liberté de conscience face à l’ordre de la vérité et de la vertu.
Pour Schöningh, cet article arrivait à point nommé en vue de marquer le cinquantenaire réel de Hochland en 1957. Il note que l’article « renferme dans le fond tout le programme politique de la revue31» et rédige un éditorial très remarqué à cette occasion (Hochland 50, 1957/58 1. Heft, Oktober 1957 : 1-332). Comme Böckenförde, il est favorable à une déliaison entre Église catholique et parti politique – interprétée par nombre de lecteurs contemporains comme une prise de position en faveur du SPD. Il se dit inquiet depuis 1953 face à une polarisation croissante (anticléricalisme contre cléricalisme, reconstruction des murs du ghetto catholique, œcuménisme en berne et retour à la problématique wilhelminienne). On est frappé de constater des analogies avec le contexte qui a présidé à la création de la revue. Certains lecteurs ne s’y sont pas trompés qui ont vu dans cet essai une façon de renouer avec l’esprit de Carl Muth, son non-conformisme et le meilleur de la tradition de Hochland. Les réactions de long terme liées au second essai de Böckenförde paru dans Hochland, « Le catholicisme allemand en 1933 » montrent, quant à elles, une polarisation du champ historiographique catholique entre un camp à tendance apologétique (un réseau analysé par Blaschke 2010, Ruff 2021) et des historiens marqués notamment par l’histoire sociale et structurelle de l’école de Bielefeld. L’ostracisme vécu par Böckenförde de la part de ce réseau catholique peut apparaître, toutes proportions gardées, comme une forme de résurgence très atténuée de polarisations actives lors de la crise moderniste ou du moins de réflexes défensifs, réminiscence du Kulturkampf.
Les limites de la continuité : hypothèses sur la fin de Hochland
A partir de la mort de Schöningh en décembre 1960, un certain flottement se fait jour. Böckenförde, très attaché à l’avenir de la revue, s’inquiète de la succession de ce dernier et propose en février 1961 l’engagement de Robert Spaemann à côté de Karl Schaezler qui avait pris la tête de la rédaction (1960-1966). Il va même jusqu’à rédiger un projet de nouveaux statuts qui reste également lettre morte. Lorsque ce dernier quitte la rédaction, un nouveau flottement est perceptible : Franz Greiner lui succède en mars 1966. Le tirage de la revue baisse continument : de 12000 en 1955 à 9400 en 1960, puis de 8300 en 1965 à 6000 en 1970 (Unger-Alvi 2023 : 244, note 4). Le directeur des éditions Kösel Heinrich Wild met Franz Greiner en garde : il s’agit de ne pas décevoir la « génération sceptique » (du nom de l’ouvrage éponyme de Helmut Schelsky). Greiner signale sa volonté de renouveler la politique éditoriale autour de l’image. Mais c’est justement un aspect qu’avait déploré Böckenförde quelques années plus tôt : la revue s’occuperait trop de littérature et d’art et plus assez de théologie33. Quand le dernier numéro paraît en 1971, aucune explication ne vient clore ce long cycle. Il en va quasiment de même, à l’issue de l’éphémère renaissance de la revue sous le nom de Neues Hochland entre 1972 et 1974, sous la direction du journaliste protestant Helmut Lindemann (1912-1998)34 et dans une mise en pages entièrement renouvelée. Plus aucune image d’art n’agrémente la revue. La modernisation des caractères, du format et des thématiques est manifeste. Les six numéros de 1974 ont pour thème respectif : l’égalité, la ville, le tiers-monde, homme et femme, l’Allemagne aujourd’hui et les radicaux35. La politisation de la fin des années 1960 est passée par là. Cependant, cette nouvelle tentative n’aboutit pas non plus.
Cet épilogue avorté, annoncé par le flottement amorcé au milieu des années 1960, était-il synonyme de la fin d’un type particulier de Kulturkatholizismus, voire d’un profond bouleversement du catholicisme tout court que les historiens datent communément de 1965 ? Böckenförde ne s’y était en tout cas pas résolu, qui à l’automne 1982 encore sondait Peter Koslowski de Civitas à ce sujet. Le verdict de ce dernier était sans appel : il paraissait douteux de pouvoir faire revivre une époque historique du Kulturkatholizismus36.
CONCLUSION
A l’issue de ce parcours, il apparaît qu’il n’existe pas un unique Kulturkatholizismus au singulier, mais que ce phénomène ne peut être envisagé qu’au pluriel, moins parce qu’il a pu évoluer au fil du temps que parce qu’il revêt dès le départ des formes et modalités fort diverses. Le plus petit dénominateur commun à ces différents courants pourrait être la conviction selon laquelle il existerait un fort potentiel de rayonnement culturel attaché au catholicisme (ou au-delà au christianisme), mais de nombreuses variantes se déclinent en fonction, notamment, du rapport au protestantisme, au dogme, à l’autorité et aux institutions de l’Eglise catholique. Au sein de cette réalité plurielle, la revue Hochland représente un cas à part privilégié, par sa longévité, son rayonnement exceptionnel, au-delà des frontières allemandes et dans le temps, son tirage relativement conséquent aux meilleurs moments de son existence. Les différents traits distinctifs dégagés au fil de ce parcours (et notamment le fait qu’elle ait su attirer de fortes personnalités représentant des formes singulières de Kulturkatholizismus) expliquent qu’on puisse la considérer comme l’exemple par excellence d’un Kulturkatholizismus ni clérical, ni ultramontain, ni antiprotestant, ouvert à une pluralité de points de vue, dont la raison d’être s’est maintenue bien au-delà du contexte spécifique de la fin du XIXe siècle présidant à la genèse de ce mouvement culturel complexe. On a vu combien certains enjeux de la crise moderniste ou liés aux réflexes défensifs induits jadis par le Kulturkampf pouvaient perdurer sous une forme très atténuée jusque dans les années 1970/80 au sein du milieu historiographique catholique.
Il est frappant de constater du reste combien l’historiographie sur le sujet conserve la trace de clivages très ténus : ainsi l’on peut se demander si le fait de présenter le Kulturkatholizismus comme la conséquence du catholicisme politique et du catholicisme social (Maier 2016, Langner 1984), c’est-à-dire grosso modo comme le fruit des conquêtes politiques du Zentrum et de l’action de diverses associations catholiques, ne pourrait pas constituer une façon d’en relativiser la portée propre et la singularité.
La place de l’image d’art est frappante dans la revue. Une image d’art soigneusement choisie et souvent subtilement disposée au fil du texte. Nous formulons l’hypothèse qu’il y a là un sujet important à étudier et prenons date pour poursuivre une recherche en ce sens, au-delà du premier et bref état des lieux dressé à ce sujet dans la présente contribution.