Dans le glossaire figurant dans le présent numéro de
Pillages de tombeaux, trafics illégitimes et confiscations illégales de bien culturels sont partout sous les feux de la critique. Des monuments de réputation internationale, historique et culturelle, ont de plus en plus souvent subi des dommages ces dernières années. Que ce soit en Irak et en Syrie, de Nimroud à Palmyre, l’organisation terroriste de l’Etat islamique a systématiquement pillé les biens culturels locaux, détruit des sites archéologiques majeurs, tiré profit de la vente de précieux objets anciens.
Et les débats concernant depuis de longues années la politique national-socialiste de destruction et de spoliation des biens culturels et le règlement des questions liées à leur restitution et à l’identification des personnes spoliées constituent depuis des décennies le quotidien de musées, d’institutions culturelles et d’experts.
Les auteurs de ces exactions souhaitaient ainsi détruire le lien culturel et ethnologique rattachant la population à sa patrie. En outre, de tels actes ne nuisent pas seulement aux personnes habitant l’endroit, ils portent aussi préjudice à l’histoire commune et à l’identité culturelle de l’humanité.
L’attention se concentre donc particulièrement sur la protection et la conservation des biens culturels quand ils se trouvent menacés ou même déjà détruits pour cause de guerres, de catastrophes naturelles, etc. Sur le plan international c’est en particulier le cas lors de l’effondrement d’ordres publics en raison de guerres ou de combats occasionnant la destruction durable et systématique de ces biens. Des conflits interethniques et religieux tels qu’ils ont eu lieu lors de la guerre d’Irak, en Syrie, en Egypte, au Liban ou au Mali impliquent de recourir aux instances internationales de protection. Des décrets permettent de mettre en œuvre cette législation. Ce type d’activités et de débats est par définition international et transculturel. A titre d’exemple, le Conseil européen a travaillé depuis 2017 à un projet de règlement prévoyant de sanctionner les atteintes aux biens culturels et d’empêcher l’importation et le stockage dans l’Union européenne de biens culturels exportés illicitement depuis un pays non membre de l’UE
Cf. le colloque « Initiatives to Strengthen International Capacities for the Protection of Cultural Property and the Prevention of Illicit Trafficking in Cultural Goods – the Council of Europe Convention on Offences relating to Cultural Property » qui s’est tenue en janvier 2017.
Le terme « bien culturel/Kulturgut » désigne « quelque chose qui, ayant une valeur culturelle, est durable et conservé ».
Un « bien culturel » renvoie à une grande diversité de manifestations et résultats de l’activité humaine : livre imprimé, pièce de théâtre, édifice, diffusion de concert, tableau, performance d’artiste, film sur écran d’ordinateur, archives, ainsi que us et coutumes, rites et fêtes des sociétés, ou enfin ce qui constitue le savoir des hommes. En somme, les biens culturels sont d’ordre archéologique, historique, littéraire, artistique ou scientifique.
Pour le domaine de l’économie culturelle, il y a des critères qui ont été définis, qui peuvent certes évoluer en fonction des changements de paradigmes, mais ils sont utilisables pour définir les biens culturels voire leur catégorisation (Mairesse, Rochelandet, 2015) :
Ce sont souvent, au sens strict, des œuvres d’art qui sont transformées en biens culturels. Ces derniers, sur un plan économique, sont donc très fréquemment définis en fonction de l’importante proportion de travail artistique incorporée dans processus de fabrication. Autrement dit, la créativité et l’imagination qui se manifestent pour et lors de la réalisation prennent ici une grande place, sachant que les critères d’évaluation peuvent changer et qu’ils doivent être périodiquement révisés voire élargis compte tenu des modifications techniques
Par exemple il reste à prendre en compte le Matérialité et immatérialité sont également des catégories en fonction desquelles les biens culturels peuvent être classés. Un bien matériel se mesure et possède des coordonnées géométriques, se différenciant en cela de l’immatériel. Il a par ailleurs fallu attendre longtemps avant que soit conclu un accord sur la préservation de biens culturels immatériels : trois décennies, telle est l’indication habituellement donnée par l’UNESCO. Le 4 avril 1973 est la date généralement avancée pour signaler le moment où ce problème a commencé à être traité par les Nations Unies. C’est le jour où le ministre des Affaires étrangères et de la Religion de la République de Bolivie a envoyé une lettre au Directeur général de l’Unesco : son ministère était parvenu à la conclusion que tous les instruments juridiques existants « visent à protéger des objets tangibles, plutôt que des formes d’expression telles que la musique et la danse, qui subissent de nos jours une exportation clandestine des plus intensives, participant d’un processus de transculturation commercialement orientée qui détruit les cultures traditionnelles » (cité dans Haferstein 2011, 75). Les biens culturels sont le plus souvent liés à une expérience vécue : leur valeur ne leur est pas intrinsèque, elle résulte plutôt de l’interprétation que l’on donne de ces biens et de l’usage qu’on en fait. Souvent, c’est leur emploi qui est même décisif. Il est difficile à une personne qui n’a pas eu accès à un objet de savoir en quoi il consiste et s’il a une signification à ses yeux. C’est pourquoi, avant de les avoir vus, écoutés ou lus, il n’est pas possible de connaître la valeur d’objets artistiques et, par conséquent, la valeur qu’ils ont en tant que biens culturels. C’est-à-dire que le discours qui est tenu sur un bien culturel, et sur la pratique de sa présentation (publique), ainsi que l’usage qui en est fait contribuent de façon incontestable à l’estimation de sa valeur.
La traduction en français de la notion de «
Nous voilà confrontés à un problème qui met une fois de plus en évidence que la traduction nécessite de prendre en considération le fait que l’histoire culturelle connaît des évolutions culturelles différentes dans les diverses aires culturelles et de trouver alors les moyens de démêler ces écheveaux conceptuels. Rechercher des équivalents fonctionnels pourra être un apport utile. Examinons donc à présent brièvement l’historique du concept de « patrimoine ».
L’idée que la manière de gérer la transmission d’une génération à l’autre, « l’héritage », avait une influence directe sur le bien-être et la société a été abordée bien avant la Révolution française (Steiner 2008). Par exemple, au moment de faire le lien entre le bonheur du plus grand nombre et la moindre inégalité dans les propriétés, Claude-Adrien Helvétius suggère de remettre en cause l’héritage
Helvétius, Claude-Adrien [1773] (1989), Condorcet, Marie Jean Antoine Nicolas Caritat, marquis de [1786] (1972),
Une fois de plus, les Le sens du patrimoine, c’est-à-dire des biens fondamentaux, inaliénables, s’étend pour la première fois en France aux œuvres d’art, tantôt en fonction des valeurs traditionnelles qui s’y attachent et les expliquent, tantôt au nom de ce sentiment nouveau d’un lien commun, d’une richesse morale de la nation tout entière.
Le fait de dépolitiser les « biens culturels » et de mettre l’accent sur le génie (en fonction du culte rendu au génie), sources de l’héritage et du patrimoine français, constitua une avancée majeure, due à l’abbé Grégoire, et le vandalisme fut par la suite passible de sanctions.
Le patrimoine acquiert à cette époque une fonction morale et pédagogique. Transformer en bien public ce qui était précédemment la propriété privée de l’aristocratie ou des Églises, les châteaux, les terrains etc. est devenu la matrice d’une prise de conscience de ce qui est national et la signification du « Bruno, G. [Augustine Fouillée-Tuillerie] (1877),
Comme on le sait, l’entreprise de Nora se situait à une époque où la Nation française ainsi que le républicanisme étaient depuis longtemps en crise et où les symboles nationaux ne subsistaient plus qu’au titre de lieux de mémoire ayant déjà perdu dans une large mesure leur force identificatoire. Les républicains français en éprouvaient une certaine amertume, ce qui se remarque aussi chez André Chastel. Cet état d’esprit, cet engagement républicain permettent de comprendre que le concept et la notion de « patrimoine culturel » paraissent obsolètes si on les sépare du contexte national. D’après l’argumentation de Chastel, le fait de parler d’un « patrimoine mondial » serait artificiel, tout comme le serait la revendication d’organisations internationales d’associer les coutumes et d’autres symboles propres au « Tiers-Monde » parce que, selon cet auteur, toutes les sociétés n’auraient pas leur propre dispositif de symboles et figures identificatoires. La vocation du « patrimoine », au sens d’héritage d’œuvres d’art et de monuments où l’on pourrait se reconnaître, aurait toujours constitué un des facteurs identificatoires de la société française. En somme, trésors et héritage ne concordent plus en France depuis la Révolution.
Dans une telle perspective, l’élargissement du « patrimoine national » au « patrimoine mondial » est contestable, et inversement, il importerait de ne pas traiter l’« héritage culturel » comme équivalent d’un « bien patrimonial ». Les objets de collection, les spécificités ethnologiques
Une question primordiale se pose en lien avec le concept de « patrimoine » : par qui ou par quoi est décidé à qui revient la compétence de contribuer à cette vocation identificatoire ? Dans une perspective républicaine, il serait donc trompeur d’accorder un élargissement mondial au « patrimoine ». On peut aussi choisir une autre approche et considérer que c’est la signification donnée au concept même de « patrimoine » qui est trompeuse, parce que cela revient à insister sur la richesse d’un héritage, et en revanche à ne s’intéresser que peu au processus qui permet à un « bien culturel » de se trouver intégré au « patrimoine ».
Étant donnés les pillages et destructions susmentionnées, mais aussi étant donné qu’il y a des minorités qui souhaitent la reconnaissance sociale et la préservation de leurs biens culturels alors qu’elles ont été occultées et réprimées au cours de leur histoire nationale, il est dorénavant souhaitable, quand on travaille sur le « patrimoine » dans le contexte des sciences des cultures, que l’on examine de près ces modes de sélection, leurs acteurs, leurs objectifs. Vers quels concepts se tourner alors ? Bien que le débat concernant le rem-placement partiel de « patrimoine » par « matrimoine » puisse renvoyer à la légitime question du genre, ce n’est pas cela qui est susceptible de réellement aider à résoudre le problème de fond, celui de la genèse de « patrimoine ». L’interrogation porte globalement sur les acteurs et les instances qui président et ont présidé à ce processus. La question du genre elle-même relève de ce contexte plus général. Pour finalement le dire d’un mot : c’est surtout le recours au concept d’« héritage » qui semble être à privilégier. Pourquoi ?
« Héritage », aussi bien sur le plan de l’étymologie qu’en rapport avec l’actualité, implique plus nettement l’action de la transmission, tandis que « patrimoine » désigne le résultat de la transmission. C’est particulièrement pertinent pour les sciences des cultures et l’histoire culturelle, sitôt que ces deux concepts ne concernent pas des individus ou des familles, mais qu’ils s’appliquent à un cadre local ou régional, national, voire mondial. Il est évident que « patrimoine » masque la complexité des modes de transmission, les pose ou du moins les représente comme allant de soi, en quelque sorte, et ne suggère pas et ne requiert pas de problématiser cette sélection, qui aura pourtant inévitablement eu lieu.
Par conséquent, utiliser « patrimoine » pour désigner les biens culturels signifie que l’on se trouve confronté à des résultats de sélections non thématisées et non problématisées, et que l’on risque de les accepter tels quels. Or il est impératif de considérer attentivement ce qui figure dans cette rubrique. Il y a un dynamisme dialectique entre la prétention à l’universalité inhérente au couple bien culturel/patrimoine et la reconnaissance des multiples droits et héritages culturels particuliers. L’avantage de recourir au concept d’« héritage » réside principalement dans le fait que la prise en considération du processus met en évidence les acteurs et instances qui sont ou furent impliqués dans les situations historiques respectives pour sélectionner les biens culturels répondant aux critères et fonctions souhaités pour faire partie de l’héritage culturel. Ce qui permet d’envisager de surcroît une révision du processus de ladite transmission culturelle. C’est pourquoi nous aimerions inciter les chercheuses et chercheurs à privilégier le terme d’« héritage » et à le traiter en concept-clef apte à respecter l’évolution culturelle et à critiquer le phénomène du « patrimoine ». En allemand, le terme « Sur la
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