Le projet « Une présentation détaillée du projet et de ses différents volets est disponible sur le site : Nous avons respectivement travaillé sur le cinéma est-allemand dans la guerre froide (Moine 2014), les procès des dirigeants est-allemands après la réunification (Mouralis 2008), et les transformations du monde théâtral est-allemand après 1990 (Verdalle 2006).
Nous avons fait le pari que les approches artistique et scientifique de l’événement pouvaient se féconder mutuellement. Cette coopération a débouché sur un projet articulant plusieurs volets : outre la pièce de théâtre, dont le texte a fait l’objet de discussions collectives, nous avons conduit une enquête approfondie sur le 4 novembre 1989, à partir d’archives et d’entretiens Nous avons consulté, à Berlin, les fonds de la Robert Havemann Gesellschaft (archives de l’opposition en RDA), du Bundesarchiv de Berlin-Lichterfelde, de l’Akademie der Künste, du Deutsches Theater et du Deutsches Rundfunkarchiv. A cela s’ajoute une dizaine d’entretiens menés par les chercheur.e.s et le metteur en scène avec des organisatrices de la manifestation (Jutta Wachowiak, Jutta Seidel), des oratrices et orateurs (Marianne Birthler, Joachim Tschirner) et de « simples » manifestantes (Christine Boyde, Silke Haase). Ce colloque (« La rue est la tribune du peuple – regards sur le 4 novembre 1989 ») a été organisé conjointement par le Centre Marc Bloch et l’Institut français de Berlin, avec le soutien de la Bundeszentrale für politische Bildung, de l’Office franco-allemand pour la jeunesse et de la Rosa-Luxemburg-Stiftung. Le programme détaillé, en allemand, de cette conférence est disponible à cette adresse : Paulina Gulińska-Jurgiel (Martin-Luther-Universität Halle-Wittenberg), « Ein Kind vieler Eltern ? Aktivisten, Vermittler und Beobachter – Das Jahr 1989 in Polen und seine (ausgewählten) Akteure » ; Detlef Pollack (Universität Bremen), « Haben die Oppositionsgruppierungen die friedliche Revolution herbeigeführt ? Beobachtungen zum Umbruch in der DDR »; Sonia Combe (Centre Marc Bloch) : « Das Scheitern der kritischen Marxisten in der DDR » .
Des discours, souvent ciselés et incisifs, du 4 novembre 1989, F. Barriera a fait la matière d’une pièce franco-allemande originale. Interprétée par deux acteurs, Jürgen Genuit et Amandine Thiriet, elle a été jouée à 17 reprises à Paris et à Berlin d’octobre à décembre 2019. En voici, succinctement, l’argument : « Un aède raconte l’histoire d’un petit pays disparu qui, dans un dernier sursaut, a tenté de concrétiser une utopie. Une autre voix, féminine, invite le peuple à rêver d’un autre monde possible (…) ». Puis le spectateur assiste à une répétition durant laquelle deux comédiens, un homme et une femme, attendent en vain le célèbre dramaturge est-allemand Heiner Müller, censé mettre en scène la pièce où ils jouent. Livrés à euxmêmes, ils lisent les discours prononcés le 4 novembre 1989 sur l’Alexanderplatz, et « se demandent quoi faire théâtralement de ce matériau historique. Que voulaient donc ces orateurs ? Et la population ? Le pouvoir ? Comment dire les textes de Christa Wolf ou Marianne Birthler et leur donner une résonance aujourd’hui ? Comment faire entendre cette matière, faite d’utopie, trente ans après la chute du mur ? F. Barriera, « Présentation de la pièce » sur le site :
Le colloque a été précédé, le 29 octobre, par la première représentation de la pièce L’exposition “
Depuis trente ans en Allemagne, des débats récurrents ont lieu entre historien.nes, sur le sens et la portée de la « révolution pacifique » Le dernier en date est un débat plutôt vif qui a opposé dans la presse, au cours de l’été 2019, plusieurs spécialistes de 1989, en particulier Detlev Pollack et Ilko-Sascha Kowalczuk. Au sens où l’entend Michel Dobry (1986 : 140–150 ; 1995, consulté le 26/03/2020).
Le 15 octobre 1989, le Deutsches Theater à Berlin accueille un grand rassemblement de gens de théâtre venus de toute la RDA. Lors de cette réunion, à laquelle assistent environ 700 personnes, la décision est prise d’organiser une manifestation à Berlin.
Pour comprendre la genèse de cette décision, il faut la réinscrire dans une chronologie un peu plus large. En effet, dès septembre 1989, différentes associations artistiques (
Le 14 octobre, Jutta Seidel, médecin de Berlin-Est et membre fondatrice de Neues Forum, écrit à Jutta Wachowiak, actrice au Deutsches Theater, qui est aussi sa voisine. Le message qu’elle dépose dans sa boite aux lettres suggère la tenue d’une manifestation à Berlin. Neues Forum, qui ne dispose encore d’aucune existence légale, peut difficilement l’organiser, du moins de manière officielle. Or c’est bien le principe d’une manifestation au grand jour, pour laquelle une demande d’autorisation pourrait être formulée, qui fait son chemin parmi les membres de Neues Forum et chez les artistes qui leur sont proches. Le lendemain, J. Wachowiak relaie cette proposition lors du rassemblement qui a lieu au Deutsches Theater et reçoit le soutien enthousiaste de ses collègues. Plus tôt dans la journée, l’avocat Gregor Gysi, proche des milieux artistiques, avait déjà plaidé pour l’adoption de formes de protestation adossées à des moyens légaux.
Un groupe de gens de théâtre berlinois, l’
Le 17 octobre, Wolfgang Holz (comédien, représentant syndical au Berliner Ensemble et membre du groupe d’initiative) dépose une demande d’autorisation auprès de la police de Berlin-Est, pour la tenue d’une manifestation défendant les articles 27 et 28 de la constitution de la RDA (liberté de réunion et d’opinion, liberté de la presse et des médias). Jusqu’à la fin du mois d’octobre, cette demande et les détails matériels de la manifestation (date, parcours, liste des intervenants au meeting qui viendra clore le défilé) seront discutés dans plusieurs lieux et en présence de différents interlocuteurs : les membres du groupe d’initiative ; la police de Berlin-Est ; le comité central du Parti socialiste unifié d’Allemagne (SED) ; la direction berlinoise du SED ; le ministère de la Culture ; la Stasi, qui suit de près les préparatifs ; les présidents des différentes associations d’artistes de la RDA ; les intendants des théâtres berlinois ; et les membres des mouvements citoyens, dont Neues Forum, qui ne participent pas officiellement aux discussions, mais qui y sont indirectement associés par le biais de leurs relations avec certaines et certains artistes ou via leurs prises de positions dans d’autres arènes.
L’information concernant l’organisation de la manifestation berlinoise se diffuse très rapidement, dans les réseaux artistiques et les mouvements citoyens. Le régime semble alors pris de vitesse. Le 20 octobre, Kurt Hager (membre du comité central du SED où il est en charge des questions de culture) s’adresse à Egon Krenz, sur le point de remplacer Erich Honecker, et lui recommande de chercher à contrôler la manifestation, plutôt que de l’interdire, pour en faire l’incarnation de la
Des négociations ont lieu entre l’
Entre 200 000 et 400 000 personnes défilent à Berlin-Est le 4 novembre 1989, ce qui représente une participation record, inédite dans la capitale est-allemande depuis la révolte de juin 1953. Le dispositif négocié entre les autorités et l’opposition comprend deux volets : la manifestation proprement dite, commençant comme annoncé à 10 heures du matin, se déroule de l’Agence de presse est-allemande (ADN) jusqu’à l’Alexanderplatz en suivant un parcours prédéfini. Elle est suivie d’un meeting de trois heures environ, au cours duquel chacun des 25 intervenants parle pendant quelques minutes sur une tribune improvisée. Ce meeting assez théâtral dans sa conception, modéré par le scénographe Henning Schaller, est ponctué de chansons mêlant humour, impertinence politique et mélancolie.
Les forces de sécurité, quoique présentes et visibles, restent à distance, si bien que les manifestants peuvent s’approcher des bâtiments officiels et des centres du pouvoir tels que le Palais de la République (siège de la Chambre du Peuple) ou le Conseil d’État. La police laisse les militants coller des affiches sur les murs de ces bâtiments. L’une d’elles, sur un mur du Conseil d’État, proclame : «
La principale revendication des organisateurs de la manifestation concerne l’application des articles 27 et 28 de la constitution de la RDA (liberté de réunion et d’opinion, liberté de la presse et des médias). En outre, de nombreuses banderoles réclament la reconnaissance officielle des « mouvements de citoyens » créés depuis septembre 1989, tels que Neues Forum, et l’organisation d’élections libres. La plupart des slogans, des
Trois aspects du régime autoritaire est-allemand sont tout particulièrement visés. Banderoles et affiches dénoncent tout d’abord la
Ce qui frappe dans cette éclosion libératrice de revendications diverses et de slogans audacieux, c’est l’absence (ou du moins la marginalité) de certaines questions : les bouleversements politiques dans les autres pays d’Europe de l’Est sont étonnamment peu abordés, mis à part quelques mots de
Même si les intellectuels et les artistes de Berlin-Est forment la majorité des oratrices et orateurs qui se succèdent, trois heures durant, à la tribune, ce groupe est beaucoup plus hétérogène en termes de profession, de milieu social et politique que ne le laissent supposer les comptes rendus rétrospectifs du 4 novembre.
Parmi les 25 orateurs, on compte cinq femmes – une écrivaine, une représentante des mouvements citoyens et trois comédiennes, dont Steffie Spira qui
À l’autre extrémité du spectre politique, cinq membres du SED s’expriment, dont un membre de la direction politique renouvelée, Günter Schabowski et l’ancien chef du contrespionnage, Markus Wolf. A ces derniers, on peut ajouter les membres « ordinaires » du parti – mais parfois critiques à son égard – tels que le professeur Lothar Bisky, l’avocat Gregor Gysi ou encore l’écrivaine Christa Wolf. Ajoutons qu’un autre représentant du pouvoir, Manfred Gerlach, président du LDPD (un des partis du « Bloc » inféodés au SED) et vice-président du Conseil d’État, prend également la parole. Ce 4 novembre, les « nouveaux » représentants du pouvoir, Schabowski en tête, sont Intervention à Berlin-Est le 25 octobre.
On l’a vu, l’une des principales revendications de la manifestation du 4 novembre 1989 concerne la liberté de réunion et d’expression. Il est cependant remarquable que, parmi les personnes qui prennent la parole ce jour-là, seules deux représentent le milieu professionnel des médias : le documentariste des studios de la DEFA, Joachim Tschirner, et Lothar Bisky, recteur de l’École de cinéma et de télévision Konrad Wolf de Potsdam-Babelsberg Le critique de théâtre Klaus Baschleben ne représentait, lui, aucune institution.
La décision de retransmettre en direct la manifestation du 4 novembre, et plus précisément le meeting, intervient donc dans un contexte de bouleversement du rôle des médias qui s’ouvrent de plus en plus aux prises de parole publiques et critiques. Il reste cependant difficile de retracer précisément le processus qui a conduit à cette décision qui, semble-t-il, est restée incertaine jusqu’à la dernière minute. La portée de ces images est forte. En effet, elles montrent, sans coupure ni commentaire, à des millions de téléspectateurs, comment une foule immense, réunie non plus de nuit comme à Leipzig, mais en plein jour, hue et moque les représentants du Parti-État – dans un processus proprement révolutionnaire. D’autres images nous permettent de mieux saisir l’atmosphère tout à la fois joyeuse et anxieuse de cette journée, au-delà du seul meeting, et dont les participants sont largement conscients de vivre un événement historique Voir les témoignages de Tina Krone, Jutta Seidel et Andreas Kämper lors de la table ronde du colloque. Voir le chapitre 12 du DVD Le cinéaste a utilisé quelques minutes de ces images au début de son film documentaire Andreas Kämper a déposé l’ensemble de ses photographies concernant la révolution pacifique (plus de 4 000) aux archives de la Robert-Havemann-Gesellschaft. Le fonds est en partie visible en ligne :
Dans les informations télévisées du soir, le compte rendu de la journée, centré sur les discours, est suivi d’une déclaration des membres du SED de la télévision est-allemande présen tant leurs excuses pour leur responsabilité dans la crise que traverse la RDA. Le 4 novembre constitue ainsi un moment important de mise en scène de la télévision est-allemande par elle-même mais aussi de son autocritique, afin de regagner la confiance des téléspectateurs. Plus largement, les journaux comme la télévision parlent de Berlin-Est mais évoquent également les autres manifestations qui se sont déroulées ce même jour dans le reste de la RDA, ainsi que de la poursuite des départs massifs vers la RFA. Les médias ont donc contribué à la construction de la manifestation du 4 novembre comme événement historique de la « révolution pacifique », mais, dans le même temps, l’ont immédiatement resitué dans le flux des autres événements.
Le projet
« La profusion de banderoles que l’on peut voir ici est vraiment frappante et ce serait très bien, je trouve, si nous pouvions collecter ces banderoles et les utiliser pour une sorte d’exposition artistique d’un nouveau genre » lance le modérateur Henning Schaller à la fin du meeting. Ces paroles posent la question des suites à donner à la manifestation et à cette mobilisation collective si inventive et novatrice pour la culture politique est-allemande.
Dans les semaines et les mois qui suivent le 4 novembre, plusieurs tentatives de muséalisation répondent à cette attente. Lotte Thaa (FU Berlin) a présenté, lors du colloque
Suit le temps des commémorations. Thomas Flierl (ancien sénateur à la culture de Berlin) est ainsi revenu sur celles du 4 novembre 1999 qu’il avait coorganisées. Dix ans après, les images de la retransmission télévisée du meeting sont projetées sur l’Alexanderplatz ; une exposition ainsi que des débats réunissent des orateurs et participants de 1989. Tout l’espace de la célèbre place se trouve ainsi à nouveau investi des images, sons et expériences de la manifestation, dans un contexte politique nouveau, à l’échelle berlinoise et nationale, proposant d’interroger à travers la mémoire du 4 novembre dix années d’unité allemande. Trente ans après 1989, la date du 4 novembre semble sortir d’un relatif oubli et s’inscrire à nouveau dans la mémoire collective de la « révolution pacifique ». Ainsi, la semaine des commémorations officielles de 2019 s’est ouverte précisément le lundi 4 novembre, sur l’Alexanderplatz. Un collectif d’artistes berlinois,
La manifestation du 4 novembre 1989 se prête particulièrement bien à ce type de réflexions. Le processus qui conduit à son organisation est, nous l’avons vu, jalonné de négociations et de formes de compromis, qui vont, par la suite, nourrir des mémoires parfois contradictoires et fragmentées de l’événement. Certains y voient une ultime tentative du régime de reprendre la main sur une situation de crise, quand d’autres célèbrent le rôle joué par les mouvements d’opposition et la libération de la parole qui transparaît des slogans brandis par les manifestants et des discours de certains orateurs. Aujourd’hui, toutefois, la question n’est peut-être pas tant de savoir si le 4 novembre 1989 vient conforter la Ainsi, la question centrale posée par les oratrices et orateurs sur l’Alexanderplatz fut – selon des modulations variées – celle de la démocratisation de leur « patrie » socialiste : le 4 novembre 1989, la question nationale n’a pratiquement joué aucun rôle.
Notre projet de recherche, comme le geste artistique de Frédéric Barierra, constitue une tentative de déplacer un peu la focale pour ouvrir d’autres perspectives sur cette période. La manifestation, sa genèse, son déroulement, les espoirs qu’elle suscite, tracent, au moins pour certains des acteurs de l’époque, une voie possible de démocratisation de la RDA, cette voie qui sera très vite interrompue et redéfinie par la chute du mur d’abord puis par les élections de mars 1990. Porter notre regard sur cet événement singulier, comprendre les positions, souvent complexes, de ceux qui contribuent à le faire exister, permet de saisir les dynamiques contradictoires qui caractérisent les derniers mois de la RDA.
„Wir sind im Krieg”: Macht, Polarisierung und Protest während der Covid-19-Pandemie in Frankreich Baden-Baden, « Capitale d’été de l’Europe ». Eine deutsch-französische Beziehungsgeschichte, 1840-1870. [Une histoire des relations franco-allemandes, 1840-1870] Bericht: Deutsche und französische Schulen in der Corona-Pandemie Blicke in eine europäische Kulturgeschichte der öffentlichen Schwimm- und Freibäder als Teil der Krankheitsvorsorge. Interview mit Dr. Matthias Oloew (29.11.2021)